À quelques jours de la sortie occidentale de Ys VIII: Lacrimosa of Dana, ce n’est autre que Toshihiro Kondo, président de Nihon FALCOM, qui s’est déplacé jusqu’en France afin de présenter le jeu à la presse. Si la licence ne fait pas partie des plus réputées, tout comme le studio susnommé, le monsieur possède un parcours atypique et une expérience certaine dans l’univers du jeu vidéo, ce qui rendait cette entrevue avec lui impérative à nos yeux. Pendant plus de 30 minutes nous avons donc pu échanger à propos de son ascension au sein de Nihon FALCOM, ses goûts en matière de jeux vidéo mais également concernant Ys VIII.
Bonjour Kondo-san, c’est un honneur de pouvoir vous rencontrer aujourd’hui. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
Je m’appelle Toshihiro Kondo, je travaille chez Nihon FALCOM. Je suis président de cette structure, mais je travaille également au développement et à la création. Je suis donc tout autant sur les lieux de création des différents jeux.
Vous avez intégré FALCOM il y a presque 20 ans de cela. Pouvez-vous nous raconter votre parcours au sein de la compagnie ?
Tout d’abord je suis entré chez Nihon FALCOM en tant que comptable. Mais c’est une entreprise dans laquelle nous n’avons jamais été très nombreux. J’étais donc au département comptabilité mais je ne faisais pas exclusivement de la comptabilité. Puisque j’avais des connaissances en sites web, je me suis occupé du site officiel de la compagnie. De ce fait, pour le faire tourner, j’allais recueillir des informations auprès des développeurs de la compagnie en allant les interviewer et peu à peu j’ai commencé à donner mes impressions sur les différents jeux, toujours sur ce site. Ensuite j’ai été amené à m’occuper d’un projet qui présentait des difficultés puisqu’il fallait s’occuper du planning. J’ai donc intégré une équipe pour ce faire, qui avait, elle, un autre gros problème. En effet, il n’y avait personne pour s’occuper des scénarios. Le script était déjà écrit jusqu’à un certain point mais il fallait malgré tout le peaufiner afin de pouvoir sortir les jeux. On m’a donc demandé de les aider à ce niveau-là. Peu à peu, je me suis retrouvé à prendre en charge ce projet, tant au niveau du planning qu’au niveau de l’écriture du scénario, je ne faisais donc plus du tout de comptabilité, et d’autres personnes finirent par prendre le relai concernant le site web. Mes activités s’orientaient donc d’avantage vers la partie développement.
Enfin, alors que je m’occupais de gérer le planning du personnel, j’ai été amené à m’occuper du département des ventes de nos jeux et j’ai commencé à être en contact avec les sections marketing et communication. Au fur et à mesure que je devais travailler avec eux, j’avais de plus en plus une vision d’ensemble de l’entreprise. Je travaillais alors comme Project Manager et, en moins d’un an, j’ai eu l’opportunité de devenir Président de l’entreprise. J’avais 32 ans lorsque j’ai pris cette fonction et, au mois de juillet dernier, ça a fait dix ans que j’occupais ce poste.
À la base vous étiez un fan des jeux FALCOM au point de créer un site web dédié aux jeux de la compagnie. N’est-ce pas compliqué de diriger la boite qui vous faisait rêver quand vous étiez plus jeune ?
En effet, déjà, Nihon FALCOM était une entreprise bien plus sérieuse que je ne le pensais. Je me souviens que l’une des premières tâches que l’on m’a confié était de m’occuper du debug (chercher les problèmes des jeux) de Ys Eternal. Je pensais que cela consistait juste à trouver les bugs du jeu donc je cherchais tout ce qui ne fonctionnait pas et j’en ai fait un rapport. Hélas je me suis fait sermonner suite à ça. En effet, on m’a dit «Si tu as décidé de faire carrière dans l’univers du jeu vidéo, il ne faut pas seulement faire ce que l’on te demande, mais également te poser des questions par rapport au jeu et donner des idées à y incorporer au moment de rendre ton rapport ». Je me disais « Mais j’ai seulement demandé à être comptable, pourquoi est-ce que l’on m’en demande tant ? » et j’ai vite compris que c’était ça, la méthode Nihon FALCOM.
Malgré votre poste, avez-vous toujours le temps de jouer ? Quels sont les derniers jeux auxquels vous avez joué et qui vous ont marqué ?
Quand je suis très occupé, il est vrai que je ne joue pas du tout. Mais je veux jouer au moins une fois à tous les RPG relativement connus au Japon donc ces derniers temps j’ai joué à Persona 5 ou encore à Dragon Quest XI. Mais le jeu auquel je consacre le plus de temps c’est… World of Tanks (rires). J’aime beaucoup ce jeu, et même mes enfants y jouent ! C’est un concept très simple, puisqu’il s’agit de batailles entre tanks, mais il y a un côté très agréable à jouer.
Je vois. Aimez-vous les jeux occidentaux et sont-ils une source d’inspiration pour vous ?
Oui, j’aime beaucoup les jeux Naughty Dog, notamment The Last of Us ou encore la licence Uncharted. C’est vrai que pendant longtemps les jeux japonais furent les « meilleurs » mais ces derniers temps il y a beaucoup de jeux occidentaux qui ont dépassé la qualité des jeux japonais et je trouve cela extrêmement stimulant. Il m’arrive donc de m’en inspirer.
D’ailleurs, comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour les jeux vidéo japonais en Occident ?
L’une des premières raisons, est, selon moi, due au fait que pendant un temps les japonais se sont surtout tournés vers les jeux smartphones. D’autre part, c’est peut-être quelque chose de typiquement japonais d’ailleurs, tous les développeurs vont suivre le même exemple, et vont essayer de suivre cette recette à succès. Même s’il y a une évolution au niveau des graphismes, le contenu va complétement cesser d’évoluer et va rester sur cette même base. Il y a donc eu pendant un temps peu d’évolutions au niveau de la scène vidéoludique niponne. Mais je pense que ces 2 ou 3 dernières années, les créateurs japonais ont pris conscience qu’il y avait des contenus qu’ils étaient seuls à pouvoir développer et qu’il fallait travailler cela. C’est vrai que lorsqu’un style de jeu est à la mode, tout le monde va vouloir faire la même chose, mais quand on regarde les compagnies qui ont survécu jusqu’ici, ce sont toutes des boîtes dans lesquelles les développeurs ont fait attention à travailler sur les points qui les distinguent des autres. Ce sont des développeurs qui ont leur propre univers et qui se sont vraiment concentrés là-dessus. Je pense que tous ces éléments font qu’on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour le jeu japonais.
De nombreuses productions japonaises à succès comme Persona 5 ou encore Yakuza 0 et Yakuza Kiwami sont sorties chez nous sans traduction française. Les amateurs de J-RPG sont d’ailleurs habitués à jouer à des jeux sans traduction française. YS VIII: Lacrimosa of Dana sera disponible avec des sous-titres français en Europe. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
En fait c’est l’éditeur NIS qui nous a proposé d’incorporer des sous-titres français au jeu. Nous n’étions pas très au courant du marché français, alors quand on a appris que les français arrivaient à jouer sans sous-titres dans leur langue, nous étions très étonnés. Mais si le public français est content de découvrir que la localisation française est disponible dans Ys VIII: Lacrimosa of Dana, c’est vraiment grâce au travail de NIS.
La licence Ys a beau être réputée dans le milieu du J-RPG, elle n’en reste pas moins peu connue du grand public en France. Comment la présenteriez-vous à nous lecteurs qui souhaiteraient découvrir cet univers avec Ys VIII: Lacrimosa of Dana ?
Tout d’abord, ce qui rencontre le plus de succès dans Ys VIII parmi les utilisateurs, c’est la possibilité de jouer plusieurs personnages dans les combats, ce que l’on appelle « Party Action » au Japon. D’autre part, parmi les concepts de Ys, on retrouve le même sentiment que lorsque l’on éclate du papier bulle : cela devient vite addictif. Il y a bien sûr le charme de l’histoire et l’introduction de nouveaux éléments de jeu, mais aussi le fait que l’on peut passer 2 à 3 heures à combattre sans se lasser. C’est vraiment l’une des grandes particularités de Ys VIII. C’est grâce à tout le travail fait sur la fluidité du gameplay et sa facilité d’accès (qui permettent un certain confort de jeu pendant les combats). Aujourd’hui il y a peu d’Action-RPG comme Ys qui proposent de switcher de personnage instantanément en plein combat. Le fait de pouvoir jouer avec une grande sensation de vitesse et de pouvoir changer de personnage sont des particularités de Ys. Il y a aussi des éléments comme le Tower Defense, qu’il n’y avait pas jusqu’ici, ou encore l’envergure que prend l’histoire qui font que le jeu a été très bien accueilli par le public japonais.
Faut-il avoir joué aux précédents opus pour comprendre Ys VIII: Lacrimosa of Dana ?
La série Ys existe depuis plus de 30 ans maintenant. On a toujours fait en sorte que les joueurs puissent se lancer dans la licence avec n’importe quel opus, sans même avoir joué à des épisodes précédents. Il n’y a donc pas besoin d’être familier avec la licence pour jouer à Ys VIII. D’ailleurs depuis 30 ans, le héros est toujours le même (il s’agit d’Adol, ndlr).
Plusieurs opus de la licence Ys sont sortis sur des plateformes Nintendo. Considérant le succès mondial de la Switch, pensez-vous sortir Ys VIII: Lacrimosa of Dana et/ou de futurs titres sur cette console ?
Actuellement nous n’en sommes pas au point où l’on peut parler de ce genre de choses en détails, mais notre but est de permettre à un maximum de joueurs de jouer à ce jeu. Concernant les jeux Nihon FALCOM, les fans japonais jouent principalement sur les plateformes PlayStation. De ce fait il est difficile de s’exprimer à ce sujet maintenant, mais avec les bons partenaires, il serait probablement possible de développer nos jeux sur d’autres plateformes, oui. En tout cas, nous sommes très ouverts par rapport à cela.
Y a-t-il des éléments de gameplay que vous auriez aimé inclure dans Ys VIII mais qui ne collaient pas forcément au style du jeu ou que vous n’avez pas pu proposer faute de temps ?
Au début, Ys VIII a été développé sur PS VITA, et il y a beaucoup d’éléments qui n’ont pas pu être intégrés dans cette version. Pourquoi ? Tout d’abord par faute de temps, mais également parce que les cartouches de la PS VITA posaient des problèmes au niveau du stockage. Tout ce que nous n’avons pas pu intégrer à la version PS VITA a donc été implémenté dans la version PS4.
The Legend of Heroes: Sen no Kiseki III sortira dans 3 semaines au Japon, exclusivement sur PS4. Pourquoi ne pas l’avoir développé également sur PS Vita et PC ? Une version française, à l’instar d’Ys VIII: Lacrimosa of Dana est-elle prévue ?
Tout d’abord concernant le choix de la PS4 : au Japon le marché des consoles portables a tendance à se réduire, et nous nous sommes dit qu’au moment où sortirait ce jeu, ce serait probablement la PS4 qui serait la plus répandue. D’autre part, nous savons que nous avons de plus en plus de fans étrangers et que le marché des consoles portables se porte encore moins bien ici qu’au Japon. Du coup, la PS4 semblait être en effet la meilleure solution. Après ce n’est pas comme si nous avions décidé qu’il ne sortirait que sur PS4, et nous avons l’intention d’observer les réactions suite à la sortie du jeu. Nous aviserons par la suite concernant une éventuelle version PS VITA par exemple. Concernant la possibilité d’une version française en revanche, cela ne fait que 2 jours que je suis arrivé à Paris et au travers des interviews et discussions je me rends compte qu’il y a vraiment beaucoup d’attente de la part du public français. Je pense donc que ce serait une bonne chose que The Legend of Heroes: Sen no Kiseki III sorte en France. On ne sait pas encore comment on va s’y prendre puisqu’aucune décision n’a été prise concernant une sortie occidentale, mais j’ai maintenant pris conscience de l’importance d’une éventuelle version française en tout cas.
Alors que la course au photoréalisme est lancée et que les joueurs sont de plus en plus exigeants en termes de graphismes, qu’est-ce qui vous motive à miser sur des jeux plus épurés graphiquement parlant, avec un aspect anime/manga ?
D’une part il y a le fait que nous, japonais, aimons les mangas et animes, cela fait partie de notre culture. Les développeurs étrangers sont vraiment très forts pour tout ce qui concerne le photoréalisme donc je ne me vois pas les attaquer de front sur cet aspect-là. Le Japon s’est fait connaître dans le monde en grande partie grâce aux mangas, donc je pense que c’est important que dans le monde du jeu vidéo il y ait plusieurs formes d’expression : des choses plus réalistes donc, et d’autres davantage dans le style des animes.
Avez-vous quelques mots pour nos lecteurs ?
La série Ys fait partie des Action-RPG et c’est un genre que l’on voit de moins en moins. C’est aussi l’une des rares séries du genre à avoir survécu et je pense que pour les joueurs français ce sera une expérience totalement nouvelle. Le titre Ys est d’ailleurs emprunté à une légende française, donc j’espère que cela éveillera votre intérêt.
La rédaction de JVFrance tient à remercier Toshihiro Kondo pour sa disponibilité, sa sympathie et sa passion, l’interprète présente sur place, ainsi que l’ensemble du staff de Koch Media qui a rendu cette interview possible.
Hinata
11 septembre 2017 at 17 h 50 minMerci pour l’interview^^
Je l’attend avec impatience se Ys VIII et le passage sur « The Legend of Heroes » est une bonne nouvelle. On verra bien 😉