Amateurs de jeux narratifs indépendants, faites de la place dans votre bibliothèque ! Un nouveau créateur a décidé de faire son entrée sur le ring : One-O-One Games. Ce studio créé par Centounopercento – 101% et Reddoll débarquera en effet dès le 19 février 2020 sur PC (plus tard dans l’année sur PlayStation 4 et Xbox One) avec The Suicide of Rachel Foster, sa première aventure narrative. Difficile de résister à l’appel de ce mystérieux thriller édité par Daedalic Entertainment, qui titille lourdement notre curiosité. La question reste maintenant de savoir si ce coup d’essai de la part des développeurs sera concluant ou non. Et pour cela, une seule solution : nous avons réservé notre chambre afin de séjourner quelques heures au fameux Timberline Mountain Hotel.
Test réalisé sur PC à partir d’une copie numérique fournie par l’éditeur
Un récit intéressant mais déséquilibré
Décembre 1993, dans le Montana aux États-Unis. Le jeu nous place aux commandes de Nicole Wilson, une jeune femme dont la mère, Claire Wilson, vient tout juste de mourir. Juste avant que cela n’arrive, cette dernière a fait part de ses ultimes volontés à sa fille : elle désire que celle-ci vende l’affaire familiale, le Timberline Mountain Hotel, afin de venir en aide à la famille d’une certaine Rachel Foster. Comme le nom du jeu le sous-entend, il s’agit d’une adolescente s’étant suicidée de nombreuses années auparavant après avoir eu une liaison avec Leonard McGrath, le père de Nicole, de laquelle a découlé une grossesse. Ainsi, l’aventure démarre alors que la protagoniste se rend dans l’hôtel, où elle n’a pas mis les pieds depuis très longtemps, afin de procéder à un état des lieux en vue de la vente à venir. Malheureusement, celle-ci va s’y retrouver coincée suite à l’apparition d’une forte tempête de neige. Totalement isolée, elle va entrer en contact avec Irving Crawford, un agent de la FEMA (Agence Fédérale des Situations d’Urgence), qui va lui assurer son soutien par voie téléphonique tout au long de son séjour forcé dans l’hôtel familial. Un séjour au cours duquel d’anciennes histoires de famille vont mystérieusement refaire surface.
Durant les deux premières heures de cette aventure, l’entrée en matière va être faite d’une manière on ne peut plus efficace. On prend petit à petit connaissance de l’histoire de ce lieu, on en découvre davantage sur le passé de la famille Wilson/McGrath et on apprend à connaître Nicole et Irving, dont la dynamique qui s’installe au sein de leur relation naissante fonctionne instantanément. L’œuvre de One-O-One Games est de celles qui prennent leur temps, qui laissent le récit se raconter de lui-même à travers une succession de dialogues parfaitement maîtrisés faisant progressivement avancer une histoire merveilleusement bien interprétée par les doubleurs (en VOST uniquement). D’ailleurs, point appréciable, certains d’entre eux sont à choix multiple. Si l’impact des réponses apparaît en réalité très limité, cela nous permet néanmoins de gagner un cran d’implication supplémentaire dans une aventure par nature très contemplative.
Malheureusement, un problème apparaît rapidement : cette entrée en matière si efficace va finalement s’éterniser jusqu’à l’introduction d’un dénouement et d’une fin qui tombent véritablement comme un cheveu sur la soupe. Du long de ses 4h environ, l’histoire de The Suicide of Rachel Foster va ainsi ressortir comme étant largement déséquilibrée. La mise en place du récit étant presque immédiatement suivie de sa résolution, on en ressort avec l’impression qu’il manque un « milieu », propice à l’ajout d’une certaine tension mais surtout au développement et à l’approfondissement des différentes thématiques abordées. À cause de tout cela, ni le côté thriller, ni le côté horrifique, pourtant ouvertement mis en avant avec tous les ingrédients nécessaires, ne fonctionnent réellement tant ils sont survolés. C’est d’autant plus décevant que l’histoire des plus intrigantes qui se dessine au début aboutit sur une fin somme toute classique et peu surprenante. Sans compter qu’elle laisse au passage un grand nombre d’éléments sans réponse. Enfin, on pourra également s’interroger sur le découpage anecdotique des différentes scènes qui apparaît non seulement comme étant incohérent avec le contexte, mais aussi et surtout inutile vis-à-vis du déroulement du jeu.
Un sound design immersif
Pourtant, on ne peut pas lui retirer, le titre bénéficie d’une mise en scène extrêmement soignée, et ce dès le début. Le travail réalisé sur l’ambiance est percutant et contribue pour beaucoup à nous accrocher à ce récit malgré les défauts soulignés plus haut. Tantôt poétique et mélancolique, tantôt apaisant, tantôt angoissant, le Timberline Mountain Hotel nous fait passer par une série de sentiments divers et variés éminemment renforcés par la puissance de la bande-son et plus généralement du sound design, excellentissime à souhait. On vous recommande plus que chaudement de découvrir cette aventure au casque car celle-ci bénéficie d’un système de son binaural. Ainsi, chaque petit grincement, bruit de vent, craquement ou autre bruit étrange ou inquiétant (et il y en a beaucoup) se fera ressentir comme si vous étiez personnellement en train de fouler le sol de la bâtisse. C’est une certitude, ils ne pouvaient pas opter pour un meilleur choix en termes d’immersion.
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Un univers sous-exploité
Comme nous avons déjà pu le dire, The Suicide of Rachel Foster est un jeu posé dont la volonté première est de mettre la narration au cœur de l’expérience. Il ne faut donc pas s’attendre à un gameplay particulièrement travaillé ou original. À vrai dire, celui-ci se contente même la majeure partie du temps des fondamentaux. À l’instar d’un jeu comme What Remains of Edith Finch – en plus classique néanmoins –, avancer, explorer, interagir et se laisser porter par l’histoire sont les seules choses que vous aurez à faire au cours de l’aventure. Certaines séquences, dont une en particulier nécessitant l’utilisation d’un microphone, feront preuve d’une originalité bienvenue mais à l’image du scénario lui-même, tout ceci restera malheureusement bien trop sous-exploité.
Même constat pour l’aire de jeu qui a bénéficié d’un soin on ne peut plus évident mais qui, malgré sa grandeur, demeure insuffisamment mise à contribution. On en arrive d’ailleurs à se demander pourquoi les développeurs se sont donné la peine de faire les choses aussi bien si c’est pour en laisser une si grande partie de côté. Certes, les quatre étages qui composent le bâtiment seront parcourus à un moment ou à un autre, mais beaucoup de pièces ne feront qu’être traversées là où elles auraient largement pu être utilisées pour approfondir les propos du scénario. Sans doute un jeu plus long et plus équilibré aurait permis de mieux en tirer profit. On se questionnera également sur la pertinence de l’ensemble des objets qu’il est possible de ramasser et d’observer… sans que cela n’ait la moindre utilité. Encore plus lorsqu’il s’agit de documents qui ne bénéficient même pas de traduction (du moins dans notre version au moment du test). Et puisque le sujet est abordé, soulignons le fait que le jeu est parfois touché par des problèmes de traduction au niveau des objectifs, dont l’un pouvant clairement induire les joueurs en erreur et même être à l’origine d’un petit bug.
Une belle réussite visuelle
Sur le plan technique en revanche, on peut le dire : le titre développé par One-O-One Games est une franche réussite. Environnements comme jeux de lumière sont criants de réalisme et témoignent d’une parfaite maîtrise du moteur du jeu de la part du studio, ce qui contribue là encore à renforcer notre immersion dans les différentes ambiances de l’hôtel. Un peu de clipping montrera certes le bout de son nez à certains moments, en particulier lorsque l’on ramasse des objets à examiner, mais cela reste extrêmement minime et en aucun cas dérangeant au cours de la progression.
Verdict : 6/10
En résumé, The Suicide of Rachel Foster apparaît comme étant quelque peu déroutant. Tous les éléments indispensables à la constitution d’un jeu proposant un récit accrocheur, percutant et même original sont présents mais sont malheureusement sous-exploités. La volonté de One-O-One Games de nous livrer une expérience inspirée est clairement visible mais le résultat final n’est pas aussi convaincant qu’escompté. À défaut de marquer l’esprit pour son histoire, le jeu se montre néanmoins largement à la hauteur sur le plan technique et sonore, ce qui est un véritable atout pour un titre de cette trempe. Malgré tout, ce coup d’essai des plus prometteurs nous a permis de découvrir un studio qui a sans conteste un énorme potentiel, qu’il doit maintenant apprendre à mieux exploiter.
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