Cinquième effort horrifique de la Bloober Team après les Layers of Fear, Observer et Blair Witch, The Medium se veut être le jeu le plus ambitieux du studio polonais, qui a construit sa communication autour du gameplay tout en dualité de son nouveau-né. Un pari risqué mais prometteur, mettant à mal les machines les plus fragiles mais débordant de créativité lorsqu’il s’agit de concevoir des tableaux malsains et insidieux inspirés de Zdzislaw Beksinski. Une chose est sûre, nous avons ici à faire à un jeu au gameplay original, qu’il aurait été impossible de sortir sur consoles old-gen. Est-ce qu’il ne serait pas là, le jeu marquant l’entrée dans la nouvelle génération ?
Test réalisé sur PC grâce à une copie numérique envoyée par l’éditeur
« It all starts with a dead girl. »
Nous sommes en 1999. Dans cette aventure, nous suivrons Marianne, une jeune femme avec un don plutôt particulier. Elle dispose de la faculté de voir et d’explorer l’au-delà, qui s’avère être un monde en miroir, notamment habité par nos peurs, nos regrets, nos ressentiments, tout ce qui a été refoulé de notre vivant et emporté avec la mort. La nuit, Marianne est régulièrement assaillie par un rêve. Celui d’une petite fille, courant à travers la forêt, jusqu’à arriver à l’extrémité d’un ponton de bois surplombant un lac. Elle est suivie par un homme qui finit par s’arrêter à quelques mètres d’elle, pistolet à la main. La petite fille hurle, supplie, pleure, paniquée. L’homme, froid et impassible tel l’Agent 47, finit par pointer le pistolet en direction de la petite fille, et appuie sur la gâchette. Lorsque le coup de feu retentit, Marianne se réveille.
Elle se trouve dans son appartement qui nous permettra d’en apprendre un peu plus sur qui elle est. Sa chambre, antre immaculé où rien ne semble avoir bougé depuis des années, nous permet de comprendre que son pouvoir, sa différence, lui ont posé moult problèmes dans son enfance et son adolescence. Ses parents ont, par exemple, été convoqués par la direction de son école, après qu’elle ait expliqué à une camarade de classe ayant récemment perdu sa grand-mère, que la défunte voulait lui transmettre un message depuis l’au-delà. Ou encore que Marianne a séjourné à l’hôpital à cause de sévères brûlures. On y apprend aussi sa fascination pour les papillons, des détails qui auront leur importance par la suite, laissés là tels des fusils de Tchekhov.
L’appartement est très organique, donne une première idée de la direction artistique du jeu, très léchée, tout en détail et avec un soin certain apporté à l’éclairage. Après avoir nourri le chat et sondé l’appartement, Marianne aura à préparer les funérailles d’un homme qu’elle considère comme son père. Les derniers adieux effectués et après qu’elle commence à sentir une présence hostile l’épiant, elle reçoit un coup de téléphone. Thomas, un homme qu’elle ne connait pas mais qui semble en savoir beaucoup sur elle, la conjure, pressé et paniqué, de se rendre à l’hôtel Niwa pour le rejoindre, lui venir en aide, lever le secret sur ses dons et ce rêve qui la hante depuis toujours. Mais lorsque Marianne arrive sur place, l’homme demeure introuvable.
Le scénario de The Medium est objectivement l’un des éléments clefs du titre, qui se veut avant tout être un jeu d’ambiance et d’enquête. Les plus réfractaires aux jeux horrifiques, ou ceux dont le trouillomètre descend rapidement vers des valeurs négatives, pourront se rassurer du fait que le jeu ne soit pas un train fantôme. Rien à voir avec un Amnesia, Outlast ou Visage. L’ambiance distillée, notamment par l’écriture, est certes sombre et incommodante, mais tout est assez lancinant, vaporeux, et il n’y a rien de particulièrement frontal. Seul un jumpscare est à signaler sur l’ensemble de l’aventure que vous bouclerez en approximativement 8h. Des séquences de course-poursuite pourront aussi effrayer les plus facilement impressionnables. Mais rien d’insurmontable. Un parti pris qui risquera d’ailleurs de frustrer les amoureux du genre, de ceux qui aiment la paralysie provoquée par une porte qui claque, ou des grosses boules au ventre à la vue d’une ombre qui ne devait pas passer au bout de ce couloir.
La peur se dissipe parfois malgré elle, car The Medium est un jeu qui pourra en rebuter plus d’un de par son aspect bavard, parfois intrusif. Marianne se parle en permanence, ou évoque son aventure à un interlocuteur pendant votre progression, se plaçant en tant que narrateur, et cassant ainsi l’impression de solitude et d’isolement. Il ne s’agit pas de ces aspects « audio-description » propres à Uncharted, mais plutôt d’apporter des pierres à l’édifice narratif pour en comprendre l’intrigue et sa densité. Fort heureusement, les doublages anglais et le sound design sont d’excellente facture, et permettent de suivre avec plaisir les nombreuses cinématiques que proposent le jeu, ainsi que les histoires dissimulées derrière les silhouettes ravivées par le pouvoir de Marianne, qui nous permettront également d’en apprendre davantage. Ces doublages permettent aussi de passer la pommade quant aux monologues incessants de notre protagoniste.
Dans sa structure, l’écriture reste classique, mais plutôt solide. Elle entame parfois des arcs qui semblent trop denses pour la courte durée du titre, évoquant le passé douloureux et torturé de la Pologne, à coup d’Holocauste, d’occupation nazie, de collaboration, de dictature soviétique, de réveil post-guerre froide et de chute de l’URSS. Certains arcs disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus, comme si le cahier des charges exigeait de les évoquer. Cependant, ces petits couacs n’empêchent pas de focaliser notre attention sur la problématique première et l’histoire développée de prime abord. Une histoire qui, par ailleurs, maintiendra le spectateur en haleine jusqu’à son dénouement (certes un peu tarabiscoté), le genre de récit magnétique qui empêche de lâcher le pad avant d’en connaître le fin mot.
Malheureusement, le jeu n’offre pas vraiment de rejouabilité, l’intrigue se faisant en couloir, les éléments narratifs restant très scriptés et ils n’offrent pas d’autres niveau de lecture apportant un goût de « reviens-y ». Le jeu est effectivement très dirigiste. Sur plusieurs séquences, dès lors que vous passerez une porte, il ne vous sera plus possible de revenir en arrière. Il s’agit là d’une expérience « one shot », qui se vaut tout à fait pour ce qu’elle est, et qui n’a pas pour prétention d’être autre chose que cela. Il ne s’agit pas d’un jeu à challenge (c’est même très, pour ne pas dire trop facile), mais d’un jeu avec une histoire, une ambiance, et une construction classique en trois actes. Néanmoins, The Medium peut se vanter de livrer une proposition décente et prenante, quand bien même il fait parti de ces jeux qui, une fois finis, prendront définitivement place sur l’étagère, d’autant que l’aventure ne peut se faire qu’en solo. Nous vous conseillerons donc d’attendre que les prix baissent pour vous le procurer, car si vous n’êtes pas abonnés au Game Pass (dans lequel il est inclus), les 50 euros requis paraissent assez disproportionnés.
C’est dans les vieux pots qu’on fait les nouvelles soupes
The Medium emprunte clairement aux survival-horror des années 90. Et plus précisément aux premiers Resident Evil, ainsi qu’à Silent Hill. Que ce soit dans sa mise en scène à base de caméras semi-fixes toujours placées pour instiller le malaise, dans son inventaire d’un autre temps (mais dans lequel on n’aura pas à naviguer très souvent), dans la rigidité de ses animations, dans l’emploi pur et simple d’Akira Yamaoka, co-compositeur du score de The Medium (et de tous les Silent Hill), le jeu faisant la part belle à la nostalgie pour le meilleur et pour le pire. On ne le dira pas suffisamment, mais les animations sont particulièrement datées, à base de balai dans le fondement, le même balai utilisé par Konami pour animer les protagonistes des Silent Hill. On évoquera aussi les glissements de terrain du personnage qui, à la simple pression du bouton pour agripper une corniche, glissera latéralement, parfois sur un mètre, pour s’y accrocher. Nous vous invitons également à regarder comment Marianne descend les escaliers, les bras le long du corps, comme un spaghetti pas cuit qui tomberait du sachet de pattes. L’inventaire, quant à lui, est très clairement inspiré des deux sagas horrifiques nippones des années 90, et accuse plus de 20 ans de retard.
Néanmoins, la bande-originale composée par Arkadiusz Reikowski (monde réel) et Akira Yamaoka (monde des esprits), est particulièrement bien sentie, prenante, terrifiante et à propos, comme pouvaient l’être celles de Resident Evil et de Silent Hill. De même, ces caméras (presque) toujours bien placées, de celles permettant de progresser sans savoir ce qui nous attend sur le tableau suivant, sont ingénieuses et s’ajoutent à l’ambiance délétère du titre. Seules quelques séquences qui nous feront contrôler un autre personnage que celui de Marianne nous proposeront une caméra qui suivra en permanence le personnage, plaquée dans son dos, à l’instar, encore une fois, d’un Silent Hill. Ces séquences sont d’ailleurs brillantes de par leur mise en scène et leur inventivité, et marqueront certainement le joueur avec leur atmosphère tantôt teintée de Lovecraft (la séquence aux couloirs infinis…) et tantôt de Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse). L’abattoir est par exemple particulièrement réussi et ce qui s’en dégage est tout à fait pesant.
D’ailleurs, ce n’est pas seulement dans la mise en scène que The Medium s’inspire du titre de Konami, mais aussi dans sa narration, incluant des miroirs à travers lesquels Marianne basculera d’un monde à l’autre, comme proposé dans plusieurs épisodes de Silent Hill (Silent Hill 3, Silent Hill Origins…). Les inspirations du titre dépassent d’ailleurs le cadre vidéoludique, pour se tourner vers le cinéma, avec des films comme L’échelle de Jacob, Psychose (le remake par Gus Van Sant), ou encore Misery.
L’environnement, quant à lui, est éminemment organique et référencé. La Bloober Team se cite elle-même, en faisant de The Medium un jeu issu de l’univers étendu de leur précédente production : Observer: System Redux, avec le simple fait que l’immeuble dans lequel habite Marianne au début du jeu soit le même que dans Observer, qui se déroule en 2084 et qui en a subit les métamorphoses du temps. De même, le monde des esprits, ou l’au-delà (à votre convenance), est très largement inspiré de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski, dont l’univers très graphique et torturé n’en finit pas d’inspirer les départements artistiques des studios de développement. Ce qui est sûr, c’est que même si The Medium manque de finesse dans ses textures ou ses animations, la direction artistique du titre vaut à elle-seule le détour, tant certains tableaux vous laisseront pantois.
Le pouvoir de la force
Marianne, en tant que médium, peut voir, entendre et ressentir plus que quiconque. Des capacités qui vont nous amener au cœur du gameplay du jeu. La proposition est simple mais originale. Il sera possible pour le joueur de naviguer à travers le monde des esprits et/ou le monde réel, et ce, presque comme bon lui semble. Le jeu est d’ailleurs découpé en 3 tiers de gameplay. Le premier tiers fera évoluer Marianne exclusivement dans le monde réel, le second tiers la fera évoluer exclusivement dans le monde des esprits, et le dernier à la fois dans le monde réel et le monde des esprits, simultanément, par écran scindé. Une proposition qui fonctionne réellement, sans paraître artificielle, et qui permettra de résoudre des énigmes uniquement solvables dans l’un des deux mondes, et de, parfois, quitter le corps de Marianne dans le monde réel pour naviguer exclusivement dans le monde des esprits. Cependant, ce procédé sera à utiliser avec parcimonie, et s’avèrera fatal en cas de séjour prolongé dans l’au-delà. Marianne pourra, dans chacun des mondes, analyser son environnement en forçant ses sens à la manière d’un sorceleur dans The Witcher, lui permettant de trouver des indices pour progresser dans l’aventure, ou d’analyser vêtements et objets pour en savoir plus sur les secrets que renferme l’hôtel Niwa. Elle pourra aussi charger son bras d’une énergie qui la protègera et lui permettra de traverser des essaims de phalènes mortifères, et d’activer des éléments nécessitant une source d’énergie. Néanmoins, Marianne ne se trouvera jamais en mesure d’attaquer ses ennemis, et ne pourra leur survivre qu’en se protégeant ou en se cachant.
C’est dans le monde des esprits que Marianne tombera nez-à-nez avec le principal antagoniste du titre : La Mâchoire. Une entité maléfique, décrite en ces termes par Tristesse, la jeune alliée fantomatique de Marianne : « C’est comme la colère, en pire », qui la prendra en chasse à la fois dans le monde des esprits, mais également dans le monde réel, où elle parviendra à la suivre. Il vous faudra dès lors faire preuve de discrétion à l’aide de mécaniques classiques, comme la possibilité de se cacher derrière des éléments de décors ou de retenir votre respiration pour ne pas vous faire repérer par la créature. Dans le monde réel, La Mâchoire sera aveugle, mais surtout invisible. Sa présence sera néanmoins discernable grâce au grésillement de votre lampe-torche, qui s’intensifiera à mesure que la créature approchera. Mais aussi par le bruit de ses pas, par une couche de transparence que vous pourrez apercevoir à travers le mobilier, ou par la même manie qu’a Marianne que de parler sans discontinuer; La Mâchoire évoquant ce qu’il vous arrivera si vous vous faites attraper. On regrette toutefois une sous-exploitation de ces ennemis, qui, en plus d’être pourvus d’une IA perfectible, ne se montrent pas suffisamment présents pour que la peur de les rencontrer de manière aléatoire se fasse ressentir. C’est même plus simple que ça : il n’y a aucune part d’aléatoire. On aurait peut-être souhaité une approche à la Alien: Isolation, instaurant une peur permanente de croiser le xénomorphe. Ici, La Mâchoire est bien trop simple à berner, à contourner, toutes ses apparitions sont scriptées, et son aspect comminatoire s’estompe à mesure que ses réactions sont si prévisibles qu’elle en devient inoffensive, les quelques (rares) phases d’infiltration relevant plus de la formalité narrative qu’autre chose.
En ce qui concerne les mécaniques des deux mondes, en plus de pouvoir berner la créature (si elle vous attrape lors d’une sortie en-dehors de votre corps, il vous suffira de revenir dans le monde réel pour vous volatiliser), le gameplay en dualité vous demandera de sonder les différents espaces pour par exemple, rétablir le courant dans un monde pour activer un élément électronique dans l’autre, comme un ascenseur ou une porte coulissante, ou de découper des amas de peau à l’aide d’un cutter dans un monde pour en débloquer le passage dans l’autre. On regrettera par ailleurs le manque flagrant de challenge pour les énigmes, qui restent à la portée d’un enfant de primaire.
Si cette dualité fonctionne très bien sur le papier, la réalisation technique s’avère parfois en-deçà des promesses. Oui, les idées créatives et interactives fonctionnent bien, c’est évident. Néanmoins, même avec une configuration solide, les chutes de FPS sont parfois drastiques lorsque le moteur fait tourner simultanément les deux mondes. Un panoramique de caméra saccadera bien trop souvent, l’affichage des éléments de l’au-delà. Parfois trop nombreux, cela se fera dans la douleur, et les freezes s’immisceront dans les cinématiques ou les phases de gameplay proposant cet écran scindé. En d’autres termes, tout au long de l’aventure, ont été constatés : du clipping, des ralentissements, des freezes, des défauts de chargement de textures, des bugs sonores (dialogues ou bruitages qui ne se lancent pas), et même un bug de texture qui a enfermé le personnage dans un espace confiné et a obligé à reloader le jeu pour pouvoir continuer (heureusement, les sauvegardes automatiques sont très fréquentes et ne s’écrasent pas entre elles). Ces petits bugs restent très présents sur l’ensemble de l’aventure, même s’ils ne sont pas rédhibitoires et nous espérons que des correctifs viendront corriger le tir. On ne pourra pas faire l’impasse dessus, mais difficile de lui en vouloir, tant le titre déborde d’amour pour le média, et de volonté de bien faire. The Medium a été conçu par des passionnés qui ont eu à cœur de nous proposer une expérience originale et inédite, quand bien même certains pépins l’ont émaillé. Une optimisation bancale qui ne viendra pas non plus à bout de notre plaisir à parcourir un level design bluffant et débordant d’inventivité, et à jouer à un jeu qui a accepté de prendre des risques, et qui possède malgré tout plus d’arguments positifs que négatifs, si tant est que vous ne soyez pas intolérant aux imperfections techniques.
Verdict : 7/10
The Medium est avant tout une œuvre très généreuse, qui a peut-être disposé de plus d’ambitions que de moyens. Néanmoins, la réussite artistique est bel et bien au rendez-vous. Que ce soit dans sa bande-originale absolument parfaite, son sound-design léché, sa direction artistique de haute volée inspirée du génial Zdzislaw Beksinski, son écriture qui sait dévoiler ce qu’il faut quand il faut (quand bien même ses dernières lignes restent bancales) et son magnétisme évident, le jeu dispose de suffisamment d’atouts pour vous faire passer agréablement les 8h nécessaires à boucler l’aventure. Alors oui, il vous faudra faire fi des aléas techniques à côté desquels il est tout de même impossible de passer. Entre clipping, ralentissements, freezes, défauts de chargement et de textures, le jeu est loin d’être parfait. Peut-être paie-t-il sa volonté de proposer un gameplay hors norme, donnant l’impression que deux jeux différents tournent simultanément sur un même soft ? Vous savez néanmoins dans quoi vous mettez les pieds. Un jeu artistiquement abouti, techniquement inabouti, et une expérience sûrement trop courte pour être payée plein tarif. Les néophytes ou les plus froussards pourront néanmoins profiter de The Medium, qui incite à la peur sans la provoquer, bien loin des trains fantômes et machines à jumpscare. Un jeu qui convaincra les esthètes pour sa réussite artistique, mais qui rebutera les plus méticuleux pour ses défauts techniques.
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