Lucerne, ville d’un peu plus de 80000 habitants de la Suisse germanophone, abrite en ses murs un petit studio dirigé par Michel Ziegler, un producteur et directeur créatif qui a porté à bout de bras le premier jeu de sa nouvelle enseigne : Hidden Fields. Un premier jeu sobrement intitulé Mundaun, qui n’est autre que le nom du village où se déroulera cette aventure faite d’enquête, de pérégrinations diverses, d’observation, de survival-horror et d’un soupçon de point & click. Un jeu au design alléchant, portant au minimum syndical la charge d’effets numériques pour se baser sur une direction artistique faite de dessins, de coups de crayon, comme s’il nous était donné à voir un papier canson esquissé qui prendrait vie. Des promesses que l’on souhaite voir se concrétiser factuellement, et qui apportera, nous l’espérons, toute l’éloquence narrative qu’un tel projet nous vend de prime abord.
Test réalisé sur PC grâce à une copie numérique envoyée par l’éditeur
C’est la fête au village
Mundaun vous mènera au cœur d’un conte helvétique, basé sur un folklore très ancré, qu’il soit visuel, sonore ou narratif. Une histoire bien dans son jus dans laquelle vous camperez Curdin Flaminada, un jeune homme à la main gauche gangrénée par un mal inconnu, revenant dans le village de son grand-père pour enquêter sur sa mort. Le vieil homme a été retrouvé mort calciné dans sa grange partie en fumée, après en avoir été pris au piège. Si ce ne sont quelques chèvres aux apparences bienveillantes, l’accueil des habitants de Mundaun se veut pour le moins glacial. Certains ont peur de s’étaler davantage sur les circonstances de la mort de votre grand-père, d’autres souhaiteraient vous voir partir le plus rapidement possible ou resteront inlassablement mutiques. Mais rien ne fera reculer le fougueux jeune homme que vous êtes, et rien ne viendra contrarier votre soif de vérité, quand bien même celle-ci pourrait vous mener en de périlleuses aventures. Dès les premières minutes, le sound design de prime abord austère glisse peu à peu vers l’insidieux et le « juste ce qu’il faut », un travail sur le son qui nous a paru particulièrement soigné et qui colle parfaitement à l’atmosphère générale dégagée par le jeu. Un jeu qui, nous vous le disons d’entrée, s’avèrera magnétique. De ces jeux dont on ne lâche la manette qu’une fois le dénouement atteint.
Un jeu qui se veut chapitré et qui se découpe comme suit : vous aurez généralement à mener votre première partie de l’enquête de jour, puis à poursuivre après le coucher du soleil, de nuit. Une fois les éléments de l’enquête rassemblés tel que le réclame le titre, vous pourrez aller trouver une couche et dormir pour passer au chapitre suivant. Cette construction permet à Mundaun de cumuler 6 chapitres qui représentent environ 1h00/1h30 de jeu chacun. Bien sûr, à mesure que les chapitres progressent, le jeu basculera dans une atmosphère de plus en plus hostile et insidieuse, donnant à voir une poignée de villageois qui deviendront plus étranges au fil du temps et des créatures qui hanteront d’abord les sombres nuits de Mundaun, avant d’en hanter également les journées initialement propices au calme, à la contemplation et au repos. D’ailleurs, l’atmosphère générale qui se dégage de ce titre se veut assez proche du film The Witch (Robert Eggers, 2016), qui aurait rencontré le M. Night Shyamalan de The Village. Néanmoins, que les plus facilement impressionnables d’entre vous se rassurent, le jeu n’est pas une compilation de jump scares et se veut plutôt accessible pour qui n’aime pas se retrouver aux prises d’une ambiance suffocante à la Amnesia ou autre Silent Hill. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul vrai jump scare à dénoter, qui a tout de même fait son petit effet, pour ne rien vous cacher.
Éminemment narratif, il est difficile de parler de Mundaun sans trop en dire. Dévoilons simplement que le passé brumeux de ce village perdu au sein d’une montagne hostile et la fin tragique de votre grand-père sont liés, un passé que le jeu vous demandera de découvrir pour, peut-être, changer l’issue des évènements. Mundaun dispose d’ailleurs de 5 fins différentes selon quelques choix que vous serez amenés à faire tout au long de l’aventure. En ce qui nous concerne, la fin n’a pas été des plus heureuses…
La discrétion envers et contre tout
Assez proche de Resident Evil et de Project Zero pour la rareté des munitions mises sur notre chemin et pour la vulnérabilité du personnage, Mundaun nous invite très chaudement à la discrétion lorsqu’il nous vient à croiser quelconque ennemi. Que ce soient d’odieux épouvantails qui aimeraient faire de nous leur congénère, d’affreux apiculteurs en lévitation (faisant fortement penser aux fantômes de Silent Hill 4) qui aimeraient nous anéantir à coups de piqûres d’abeilles en nous envoyant des essaims d’insectes survoltés, d’abominables créatures directement sorties de Donny Darko, et d’autres que nous vous laisseront le soin de découvrir, il sera vivement recommandé de ne pas tenter le combat rapproché. Déjà, parce que Curdin sera rapidement effrayé par ces créatures infernales, ce qui ralentira chacun de ses mouvements et pourra aller jusqu’à le tétaniser tout à fait. Ensuite, parce que ces créatures sont particulièrement coriaces, que votre fourche ne vous suffira pas toujours, que les munitions de fusil seront à utiliser avec parcimonie et que certains de ces monstres ne peuvent tout simplement pas être neutralisés.
Le jeu vous apprendra à vous servir de quelques techniques bien pratiques pour gonfler votre résistance à l’effroi provoqué par ces créatures, en vous proposant, par exemple, de vous concocter un bon café que vous aurez préparé à l’aide des objets de votre inventaire et des différentes cuisines que vous croiserez dans les maisons trônant à Mundaun. Le jeu vous encouragera donc à utiliser votre matière grise et à faire preuve de finesse en optant pour l’infiltration ou en faisant en sorte que certains de vos ennemis, profondément délurés, foncent droit dans un piège fait de tas de foin auxquels vous mettrez le feu une fois que votre cible se tiendra à l’endroit stratégiquement souhaité. Une préconisation qui devra être entendue et que vous pourriez adopter malgré vous, après avoir constaté qu’une simple erreur de jugement pourrait vous confronter irrémédiablement à un de ces monstres à qui il ne faudra que quelques secondes pour vous terrasser. De même, l’emploi du fusil sera vraiment à réserver aux situations d’urgence, celui-ci étant très lourd et difficile à manier, et surtout extrêmement bruyant, les coups de feu attirant les ennemis qui seraient situés aux alentours.
Néanmoins, le jeu saura se montrer conciliant en mettant plusieurs fois des items importants sur votre route, des fois que vous auriez raté le fusil ou la lanterne dans les chapitres précédents. Un jeu qui ne se veut pas particulièrement exigeant mais qui requiert tout de même une certaine attention quant à notre approche de cet environnement hostile, et une appréhension cohérente que nous devrions adopté face à nos propres choix stratégiques. La subtilité de notre stratégie sera de plus en plus nécessaire, alors que les ennemis commenceront bientôt à apparaître même de jour. Les maisons et autres cabanes de Mundaun seront ainsi vos Safe Room, étant donné qu’une fois la porte d’entrée refermée, les créatures ne pourront plus venir vous importuner.
Malgré tout cela, Mundaun est un jeu qui reste plutôt facile, que ce soit face à l’IA plutôt ras des pâquerettes des ennemis, ou aux énigmes qui nous sont proposées et qui ne mettront pas beaucoup de temps à être résolues, bien aidé par votre carnet qui vous permettra de consigner les résultats de toutes vos recherches. Certains pesteront aussi contre la main tendue trop régulièrement, avec ces objets en surbrillance qui nous indiquent ce qu’il ne nous faut pas rater dans une pièce ou dans un environnement. Ou contre ces sauvegardes peut-être trop récurrentes, qui limitent l’impact et l’aspect punitif de la mort lorsqu’elle survient au détour d’un ravin mal négocié. Sauvegardes qui peuvent s’effectuer manuellement et qui sont aussi automatiques (et fréquentes). Tout cela se faisant un peu à la manière d’un Layers of Fear, dans lequel l’histoire et l’ambiance se veulent plus importantes que le gameplay. Voilà qui pourrait en rebuter certains, nous vous conseillerions tout de même d’accepter de vous laisser porter par cette inquiétante étrangeté qui aura de quoi vous surprendre et vous satisfaire. Le village de Mundaun étant construit en 3 niveaux géographiques différents, à savoir le bas-village, le lac et le pic de Mundaun, soyez rassurés concernant le nombre d’allers-retours à effectuer, étant donné que le jeu propose des systèmes de téléphériques artisanaux pour passer d’un bout à l’autre du village, et met également à disposition une camionnette qui vous permettra de sillonner la montagne sans perdre trop de temps dans vos randonnées, si jolies soient-elles.
Comme un cours d’arts plastiques
Nous l’évoquions dans l’introduction de ce test, mais si le design peut rebuter, il s’agit tout de même d’un véritable parti pris, fort et solide, assumé jusqu’au bout, impliquant des graphismes faits de coups de crayons sur de véritables feuilles de papier. Il vous sera donc donné de vous balader au sein même des dessins de Michel Ziegler, auxquels ont été ajoutés quelques effets numériques, notamment en ce qui concerne l’ombrage et la luminosité. Pour le reste, tout est fait main, cela procure à Mundaun un charme fou et inédit car quoi de plus personnel et unique qu’un dessin fait par la main de l’Homme, sans appui d’un quelconque ordinateur qui viendrait lisser tout ça ? Comment ne pas rester pantois face à la beauté de certains tableaux, certains décors, notamment cette paroisse inspirée de la ville natale du créateur et qu’il a reprise trait pour trait.
Oui, Mundaun n’est pas exempt de défauts. Compte tenu de son budget et de son équipe si réduite, cela n’a rien d’étonnant. Il peut arriver d’avoir à subir du clipping à 3 mètres, notamment en ce qui concerne la végétation. Un peu d’aliasing de-ci de-là, aussi. Il nous est arrivé d’avoir à charger la sauvegarde précédente car une erreur de script nous avait bloqué sur place, sans possibilité de pouvoir effectuer le moindre mouvement. Certaines hitbox sont hasardeuses, d’autres peuvent vous laisser bloqué en des endroits incongrus et relativement restreints, dont il vous faudra faire preuve de patience pour pouvoir vous en extirper. La trame est peut-être un peu courte, ne dépassant pas les 6-7h de jeu, quand bien même les cinq fins différentes pourraient pousser à reprendre l’aventure. La difficulté laisse aussi à désirer et le jeu se termine sans le moindre mal dès lors que les mécaniques ont été comprises et assimilées. Il n’en reste pas moins que Mundaun est une proposition qui transpire l’authenticité, l’amour du média, l’amour du storytelling, l’honnêteté et l’éloquence. Une proposition sur laquelle il vous sera demandé de faire fi des détails qui fâchent pour vous imprégner de l’aura de ce jeu indépendant qui ne se moque pas de vous, et vous délivre là une proposition véritablement originale et osée. Alors laissez-vous porter.
Verdict : 7/10
Oui, Mundaun est un petit jeu sans prétention n’ayant pas pour objectif de renouveler le média, mais il est une proposition si honnête, si authentique, si habitée par son créateur, qu’il serait dommage de ne pas franchir le pas pour lui donner une chance. Voilà un jeu qui jouit d’une atmosphère picturale et pittoresque chargée de bien des références, lorgnant notamment du côté du cinéma, vers un The Witch qui aurait rencontré le M. Night Shyamalan de The Village. Mundaun transpire la volonté de délivrer une histoire habitée par le folklore dans lequel a été bercé son créateur, entremêlé de son propre vécu, en en faisant ainsi un véritable « jeu d’auteur ». Et si Mundaun en fera frissonner certains, il en émerveillera bien d’autres, malgré les quelques soucis techniques relevés dans ce test et la difficulté qui n’ose pas pousser ses curseurs de peur de frustrer le joueur. Un sound design simple mais efficace, une patte graphique faite de véritables dessins -qui impressionne une fois en jeu-, une atmosphère et une histoire qui vous tiendront en haleine de bout-en-bout, voilà de quoi justifier un investissement vidéoludique qui, croyez-en nous, ne vous laissera pas indifférent.
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