Il y a un peu plus de 2 ans, le studio Tarsier travaillait encore sur Tearaway Unfolded et annonçait en marge du portage de la version VITA du titre de Sony, Hunger, un jeu indépendant à l’ambiance léchée. Si les informations étaient peu nombreuses, on savait déjà qu’on y incarnerait une jeune fille prénommée Six, prisonnière de l’Antre, un lieu étrange tenu par des créatures qui le sont encore plus. Après un silence de presque un an, l’arrivée de Bandai Namco en tant qu’éditeur du titre nous a permis d’avoir des nouvelles de Hunger, désormais renommé Little Nightmares. Un titre qui en dit long sur l’aventure qui nous est ici proposée.
Test réalisé sur PS4 à partir d’une version éditeur
Hunger game
L’enfance est probablement l’un des thèmes les moins abordés dans l’univers vidéoludique. Il y a pourtant matière à faire lorsque l’on sait comment exploiter le sujet de façon pertinente. L’année dernière, Krillbite Studios s’était d’ailleurs essayé à l’exercice en nous proposant un survival horror mettant le joueur dans la peau d’un bambin en pyjama. Si le titre était loin d’être inoubliable, il faut avouer qu’il proposait quelques passages intéressants, même si trop peu approfondi, le tout manquant de consistance. Avec Little Nightmares, le postulat de base est bien différent, puisqu’il s’agit de genres et d’ambiances diamétralement opposés. Point de vue à la première personne ici, puisqu’il s’agit d’un jeu de plateforme à défilement horizontal dans lequel on évolue en trois dimensions. Avec un soupçon d’infiltration dès lors qu’il s’agira de ne pas se faire repérer par les occupants de l’Antre.
On retrouve donc le spectre de l’enfance qui plane sur la production de Tarsier tout au long de l’aventure, puisque l’on nous propose ici des environnements et des créatures qui nourrissent l’imaginaire cauchemardesque des plus jeunes. Il n’est pourtant pas ici question de faire peur au joueur, on parlera d’ailleurs difficilement d’horreur. Mais puisque Little Nightmares nous met dans la peau d’un personnage de petite taille face à des environnements disproportionnés, un sentiment d’impuissance se créé alors indubitablement. Ce qui provoque par la même occasion une sorte de retour en arrière, à l’époque où l’on craignait encore qu’un monstre se cache sous notre lit ou qu’une créature hideuse veuille nous manger sans que l’on puisse se défendre.
While your nightmare comes to life
De façon très épurée, le jeu nous fait comprendre qu’il va falloir aider Six à se sortir de l’Antre, l’endroit mystérieux dont elle est retenue prisonnière et qui n’apparaît qu’une fois par an, invitant ses convives à venir s’empiffrer le temps d’un banquet morbide dont personne n’est jamais revenu. Ces invités prennent d’ailleurs la forme de créatures humanoïdes obèses et boursouflées. La façon dont ils se nourrissent et se jettent sur Six dès lors qu’ils l’aperçoivent sonne presque comme une satire de notre société. À chacun de l’interpréter comme il l’entend, d’autant que le jeu ne propose aucune narration à proprement parler.
En effet, aucun dialogue ni histoire résumée en quelques lignes ne se trouveront sur votre passage. Il en sera de même pour d’éventuelles cinématiques. Il incombe donc au joueur de se faire un avis sur ce qu’il verra et ce qu’il vivra dans la peau de notre jeune héroïne au ciré jaune. S’inscrivant dans la lignée de cette narration épurée au possible, le gameplay verse lui aussi dans la simplicité et n’accable pas le joueur de contrôles improbables. Six peut donc sauter, courir, s’accroupir, tirer/pousser et s’accrocher à diverses parois en marge de l’utilisation de son briquet qui lui permettra d’éclairer les zones sombres.
Une fois que l’on connaît les contrôles, n’importe qui peut donc être à même de résoudre les quelques énigmes parsemées ici et là, puisqu’elles s’appuient toutes sur les facultés de Six, ou bien sur ses faiblesses, qu’il faudra exploiter afin de trouver son chemin vers la sortie de cette immense prison cauchemardesque. Les solutions sont logiques et il s’agit le plus souvent de ce à quoi l’on n’aurait pas pensé au premier abord. L’ingéniosité du level design n’est donc pas en reste, puisque ce dernier est au cœur même du jeu, avec un gameplay vertical à en donner le vertige. Doublé à la direction artistique de haute volée, il donnera souvent envie de matraquer le bouton Share afin de capturer l’essence des environnements que l’on sera amené à parcourir.
Il n’y a pas que la taille qui compte
Au nombre de 5, ces environnements peuvent se compléter assez rapidement, mais dans l’ensemble la durée de vie générale du jeu dépend vraiment de la façon de jouer propre à chacun. Un joueur plutôt contemplatif, qui ne trouve pas immédiatement la réponse aux énigmes et qui éprouvera des difficultés sur quelques passages complétera l’aventure en 4h, là où quelqu’un de plus rapide et qui ne bloquera à aucun moment le bouclera en 2h, montre en main. Encore une fois, le débat concernant la durée de vie d’un jeu vidéo peut revenir sur le tapis, même si dans notre cas, on préfère ne pas en tenir compte pour plusieurs raisons.
Avant tout, car une impression de tourner en rond aurait vite pu s’installer si le studio avait souhaité allonger l’aventure. Les énigmes ont en effet le mérite de se renouveler en puisant dans le level design, dont le joueur n’a jamais vraiment le temps de s’habituer, puisque l’on passe rapidement d’un environnement à un autre. Mais également car il est avant tout question de mettre en place une ambiance comme on en voit peu. À chaque nouvelle pièce explorée la tension est palpable, le stress monte dès lors qu’un ennemi se trouve près de nous et les décors glauques tout droit sortis d’un cauchemar de notre tendre enfance contribuent à rendre Little Nightmares unique en son genre.
La replay-value du jeu ne joue clairement pas en sa faveur, puisqu’hormis quelques statues à briser et collectibles à attraper pour déverrouiller des illustrations dans les bonus ainsi que des trophées, il n’y a rien de plus à découvrir en termes de secrets. Pourtant, la première idée qui nous est venue une fois les crédits passés a été de relancer une nouvelle partie. Comme une invitation à plonger un peu plus dans cet atmosphère atypique, Little Nightmares fait partie de ces expériences dont on ne peut ressortir indemne et dont on parvient difficilement à se détacher.
On pourrait pourtant lui reprocher une maniabilité parfois hasardeuse dès lors qu’il s’agira de faire preuve de précision ou une caméra placée un peu loin de Six, ne permettant pas au joueur de jauger ses actions. Techniquement, Tarsier nous prouve qu’avec une bonne maîtrise de l’Unreal Engine et une direction artistique qui tient la route, un studio indépendant peut faire de vraies merveilles. Le tout est propre, sans bavure et on regrettera juste que l’ensemble tourne en 30 fps presque constant sur PS4, quand la PS4 Pro s’offre une résolution de 1620p et un framerate pouvant atteindre les 60 fps. Gageons que des patchs permettront de venir stabiliser tout ça. Enfin, notons que si la bande-son est très souvent effacée, elle n’en reste pas moins efficace, avec des thèmes à en donner la chair de poule.
Verdict : 8/10
Faisant renouer le joueur avec ses peurs d’enfance les plus profondément enfouies, Little Nightmares propose un pacte plutôt étrange : celui d’une aventure courte, épurée de toute narration et au gameplay simple à prendre en mains, mais dont l’intensité ne s’arrêtera de croître qu’une fois les crédits affichés à l’écran. Qui plus est, son ambiance et son héroïne attachante lui donnent un cachet unique. Vous l’aurez compris, Little Nightmares est un jeu à consommer sans modération, dans le noir idéalement et avec un bon casque sur les oreilles, histoire de s’immerger dans l’Antre comme si l’on était dans la peau de Six.
Laisser un commentaire