À l’instar du cinéma, de la musique ou encore d’autres formes d’arts, le jeu vidéo possède lui aussi ses grands noms. Des personnalités qui ont marqué à jamais cette immense scène, sans cesse en ébullition, mais qui ont également marqué les joueurs de par leurs œuvres, les messages qu’elles véhiculaient ainsi que les émotions qu’elles transmettaient. Parmi elles se trouve Hideo Kojima, le légendaire créateur de Metal Gear/Metal Gear Solid, un visionnaire qui à lui seul parvient à déchaîner les passions et dont la moindre annonce de sa part parvient à faire vibrer toute l’industrie. Ce fut notamment le cas avec Death Stranding, sa nouvelle franchise énigmatique qui, en 3 ans de communication, est parvenue à conserver le mystère intact pour mieux prendre les joueurs à revers, comme le maître en a le secret.
Test réalisé sur PS4 après des dizaines d’heures de jeu et des milliers de likes laissés à nos confrères, le tout à l’aide d’une version numérique fournie par l’éditeur.
Déconnexion et des connexions
Souvenez-vous. C’était en 2015. Alors que Hideo Kojima et Konami s’étaient quittés après une relation de plus de 25 ans, le créateur de Metal Gear Solid, mais aussi Boktaï, Zone of the Enders, Snatcher ou encore Policenauts, faisait de Kojima Productions un studio indépendant à part entière, alors qu’il s’agissait avant d’une filiale de Konami. Son dernier projet sur les rails était Silent Hills, un opus qui devait signer le retour en force de la franchise, le tout épaulé par la présence de Norman Reedus et Guillermo Del Toro, mais il ne verra finalement jamais le jour, au grand dam des joueurs. Qu’importe, le monsieur a désormais assez d’expérience pour se lancer dans un nouveau titre qu’il bâtira de ses propres mains. C’est ainsi qu’après plusieurs mois de voyages, d’investigation et d’échanges avec d’autres studios du monde entier, il annonça Death Stranding sur la scène de l’E3 2016. Si l’excitation était à son comble, il faut avouer que la nouvelle fit naître bien plus de questions qu’elle n’apporta de réponses. En effet, au détour du premier trailer dévoilé, peu de détails nous permettaient réellement d’imaginer ce que serait le premier jeu de Kojima Productions en tant que studio indépendant.
La suite des événements ne leva pas beaucoup plus le voile sur les intentions de Kojima, ni-même sur le concept du titre, puisque chaque nouveau trailer ou nouvelle déclaration concernant Death Stranding ne faisait que semer un peu plus le doute dans l’esprit des joueurs. On sait que le père de Solid Snake adore jouer avec ses fans, distiller d’éventuels éléments de réponse au travers d’un jeu de piste que seuls les plus aguerris peuvent suivre, pourtant force était de constater que personne n’était capable de savoir à quoi s’attendre. Et c’est justement l’une des plus grandes forces de Death Stranding : frapper là où on ne l’attend pas.
Le jeu prend donc place dans un univers post-apocalypique où le Death Stranding, une catastrophe semblable au big bang, a littéralement annihilé les États-Unis, plongeant le pays dans un chaos sans précédent. On y incarne Sam Porter Bridges, un transporteur qui s’occupe de réaliser des livraisons à travers une Amérique brisée. En effet, avant cette tragédie, le transport de marchandises était facilité par l’existence des drones qui a rapidement mis au placard la main d’œuvre humaine tandis que le continent était plus connecté que jamais. Les moyens de communications et les réseaux sociaux étaient alors le pinacle d’une société qui semblait presque dystopique. Désormais, les réseaux de communication sont tous coupés, les marchandises ne peuvent plus être transportées que par des humains et au delà des quelques villes et relais, il ne subsiste que désolation à l’horizon.
Très vite, l’action nous place en tant que dernier espoir de l’humanité : Sam est un rescapé et porteur du DOOMS, ce qui fait de lui un être hors du commun, capable de surmonter des épreuves que bien d’autres ne seraient capables d’endurer. Après quelques discussions et rencontres surprenantes, il deviendra héros malgré lui, ayant pour but de reconnecter le continent à l’aide du réseau chiral, une invention permettant non seulement la transmission de données et d’informations mais aussi d’imprimer du matériel, le but étant d’intégrer un maximum de monde aux UCA : les Villes Unies d’Amérique (United Cities of America). La tâche n’est toutefois pas aisée puisque le traumatisme du Death Stranding est encore bien présent chez certains qui refusent de voir le monde réunifié comme c’était avant le cas.
Hideo Kojima ne ment pas lorsqu’il définit Death Stranding comme un « strand game » : tout, ou presque, tourne autour de la connexion à autrui, du lien avec l’autre. Doit-on y voir une représentation sous-jacente de notre société, plus fracturée que jamais entre religions, classes sociales, genres et attirances ? Il serait bien délicat de l’affirmer de la sorte. Mais une chose est sûre, alors que nous vivons une époque où l’on cherche plus que jamais à se séparer les uns des autres pour s’enfermer dans une case spécifique, à s’attribuer une étiquette qui permet de se définir en tant qu’être à part entière plutôt qu’en tant qu’être humain dans le sens général de la chose, Death Stranding transpire cette envie de réunification, faisant fi de ces considérations. De la même façon que Metal Gear Solid l’a fait en son temps, il est porteur d’un message fort et dans l’air du temps.
Lâchez vos likes
Death Stranding propose un concept assez unique, puisque le plus gros du gameplay réside dans la livraison de marchandises, d’où le fait qu’il ait été targué de Walking Simulator. C’est un fait, on passe énormément de temps à voyager, que ce soit à pieds ou bien en conduisant l’un des véhicules du jeu. Il faut aussi penser ses trajets de façon à effectuer un maximum de livraisons de façon optimale, tout en gérant son inventaire, puisque contrairement à bien des jeux, Sam ne sort pas de sa poche tout son attirail. Dans un sens et au premier abord, tout ceci peut sembler bien redondant. C’était sans compter la présence de moments d’action qui permettent de ponctuer le rythme de l’aventure. Il n’est pas rare de croiser au détour d’une falaise un groupe d’échoués ou un campement de MULEs. Tandis que les premiers sont les créatures invisibles que l’on aperçoit depuis les premiers trailers du jeu, représentant la plus grosse menace pour Sam, les autres sont des transporteurs tellement zélés que leur vocation les a rendu presque fous. Ce qui se traduit par un assaut immédiat dès lors que ces derniers remarquent la présence de Sam.
Notre héros pourra évidemment se défendre face à ses diverses menaces, mais la discrétion sera toutefois de mise, notamment lorsqu’il s’agira de passer entre de nombreux échoués dans une zone ou il est impossible de les contourner. C’est ici que l’Odradek et le BB rentrent en scène, puisqu’ils permettent à Sam de les localiser, bien qu’il possède la faculté de les ressentir dans les environs. Impuissant face à ces ennemis au début, il pourra petit à petit se défendre à l’aide d’un arsenal qui grossira au fur et à mesure de son avancée. Grenades, armes létales ou non, lance-bolas et bombes fumigènes seront autant d’éléments à employer à bon escient pour se sortir de situations délicates. Pour ce qui est de la carte de la discrétion, on reste loin des meilleurs passages d’infiltration d’un Metal Gear Solid mais le jeu nous incite grandement à avancer à tâtons tout en retenant sa respiration lorsque ce genre de menace se trouve dans les parages.
Dans le jeu, la connexion à autrui prend effectivement plusieurs formes. Il y a, comme expliqué, les liens à (re)créer entre les différentes villes, les relais et autres personnages/installations présents sur la carte du jeu. On peut d’ailleurs approfondir cette relation en réalisant des livraisons annexes qui s’ajoutent à celles qui constituent la quête principale. Cela permet notamment de grappiller quelques likes supplémentaires, qui sont en quelque sorte l’expérience récoltée qui se répartit dans les différentes caractéristiques de Sam et qui lui permettront, in fine, de pouvoir porter plus de marchandises sur le dos, d’avoir un meilleur équilibre, de moins endommager les cargaisons qu’il transporte en cas de chute… Cumulés, les niveaux de ces différentes caractéristiques définissent le niveau de livreur de Sam. L’idée est donc de réaliser les meilleures performances possibles, de livrer les quantités données de marchandises (voire plus, lorsque c’est possible) dans les meilleurs délais, en suivant des trajets optimisés tout en prenant soin d’abîmer le moins possible ce qu’il transporte.
You’re not alone
Mais la connexion se matérialise aussi par le lien qui lie les joueurs entre eux. Death Stranding n’est effectivement pas un jeu multijoueur à proprement parler et il n’y a pas la possibilité de croiser directement d’autres joueurs in-game. Cela dit, les structures (échelles, ponts, zones de stockage, générateurs…) que créent les joueurs sont mutualisées, ce qui donne l’impression d’évoluer dans un univers collaboratif ou chaque action ne doit pas être uniquement pensée pour soi, mais aussi pour les autres. On peut d’ailleurs attribuer des likes à tout ce que les joueurs créent, ce qui permet de mesurer l’utilité de chaque élément. On peut alors tout à fait imaginer disposer un panneau informant la présence d’échoués dans une zone ou bien un pont afin de permettre à tous les joueurs qui passeraient par là de franchir un cours d’eau. Et ce ne sont là que de brefs exemples pour vous montrer que les actions des uns ont des impacts (généralement positifs) sur la partie des autres. Dans le même ordre d’idée, l’entraide est de mise avec notamment la possibilité de se lier à des joueurs dont on aurait rencontré des éléments, afin d’offrir et récupérer plus de likes notamment. Il sera même parfois possible de trouver par terre des marchandises égarées par certains afin de compléter leurs livraisons ou encore de partager des objets via les casiers partagés, dans lesquels chacun est libre de venir se servir récupérer tout ce dont il pourrait avoir besoin.
L’atmosphère distille des émotions qui se voient sublimées par les superbes panoramas qui s’étendent à perte de vue
Alors que l’on aurait souvent tendance à se sentir seul lors des longues escapades dans les terres désolées d’Amérique, cette notion de connexion avec des joueurs du monde entier offre une sensation relativement grisante. On en vient à faire en sorte d’aider son prochain tandis que d’autres nous ont apporté leur soutien par un moyen indirect, on croise des structures ou bien des routes qui attestent d’une certaine présence, et pourtant on se retrouve seul dans ces grandes étendues verdoyantes où les monts enneigés côtoient la brume au loin.
Après tout, Death Stranding joue énormément avec l’ambiance. Tantôt teintée de mélancolie, tantôt teintée d’un espoir immaculé, l’atmosphère distille des émotions qui se voient sublimées par les superbes panoramas qui s’étendent à perte de vue et par une mise en scène dont seul Hideo Kojima en a le secret. Les plans dignes d’un film se succèdent tandis que les musiques viennent agrémenter l’ensemble à l’aide de pistes triées sur le volet. Une fois de plus, le créateur japonais a sélectionné lui-même les artistes qu’il souhaitait voir dans son jeu et a méticuleusement réfléchi leur utilisation. Le résultat est saisissant : parcourir d’immenses étendues verdoyantes et rocheuses sans signe de vie à l’horizon sur fond de Silent Poets a de quoi donner des frissons. On pourra lui reprocher son égo surdimensionné (quoi qu’il ne fait qu’assimiler les fleurs que lui jettent les critiques et le public depuis le début de sa carrière) mais une chose est sûre : on sent que chaque détail a été pensé de façon précise et que rien n’est laissé au hasard. La moindre de ses décisions a finalement un but, qu’il soit artistique, scénaristique, narratif ou immersif. Un travail d’orfèvre qu’il a mis en place avec une équipe composé d’environ 80 personnes et qui ne peut que laisser pantois.
À l’aide du Decima Engine, les développeurs offrent un rendu photoréaliste qui place le titre dans le haut du panier des plus belles productions sur PS4, et autant vous dire qu’on a déjà très hâte de voir ce que donnera la version PC en 4K native et avec les réglages poussés au maximum. Les détracteurs pourront effectivement reprocher au jeu des environnements somme toute assez vides, et ils n’auront pas tort en soi, puisque Death Stranding se déroule dans un univers post-apocalyptique où les villes n’ont plus rien de ce que l’on peut connaître, s’apparentant à d’immenses complexes futuristes où l’humanité y est retranchée sous-terre. Ceci étant dit, en marge de quelques textures peu reluisantes, on sent que le moteur graphique de Guerrilla Games n’a rien perdu de sa superbe et éclate toujours autant la rétine. La modélisation des visages, quoi qu’un peu trop lisse, offre un rendu vraiment convaincant et les différents acteurs qui ont prêté faciès et voix pour le jeu sont reconnaissables dès le premier coup d’œil.
Est-il besoin de rappeler que le casting est probablement l’un des plus ambitieux jamais vu dans un jeu vidéo ? Norman Reedus incarne Sam Porter Bridges, le personnage principal, tandis que Mads Mikkelsen et Troy Baker campent le rôle d’antagonistes. On note également la présence de Léa Seydoux, Margaret Qualley, Tommie Earl Jenkins, Guillermo Del Toro, Nicolas Winding Refn, Lindsay Wagner et Emily O’Brien, qui viennent compléter un casting digne d’une véritable production hollywoodienne. Autant dire que le jeu des acteurs et leur doublage permet aux nombreuses cut-scenes de gagner en intensité. C’est l’un des nombreux avantages de profiter d’acteurs confirmés pour la motion capture. Reste que si la version française du titre s’avère être plutôt réussie, elle est forcément en deçà de la VO, moins percutante et parfois un peu moins juste dans le propos (d’autant qu’on regrettera une fois de plus la prononciation hasardeuse de certains termes anglais).
Death Stranding est une œuvre forte qui fait appel à des thématiques telles que la mort, le lien avec l’au-delà, la réunification et la reconstruction. Le propos est juste, toujours bien amené et évidemment soutenu par une narration aux petits oignons. On retrouve l’appétence de Kojima pour les longues tirades mais aussi les dialogues optionnels, qui passent cette fois-ci par la retranscription d’entretiens passés par les différents protagonistes ainsi que des e-mails. Les premiers sont tout de même plus importants car ils permettent d’approfondir réellement tous les éléments abordés par le scénario tout en levant la lumière sur de nombreuses questions que l’on pourrait se poser. Les mails permettent davantage d’apprendre à connaître les personnages que l’on croise, mais n’ont pas réellement vocation de faire avancer les choses. Mais une chose est sûre : le tout est assez fascinant pour nous pousser à explorer l’univers au maximum et en apprendre autant que possible.
Verdict : 9/10
Quelle claque ! Death Stranding avait de quoi laisser dubitatif sur le papier et pourtant, Hideo Kojima est bien parvenu à créer un genre à part entière dans lequel il a insufflé tout le génie et le savoir faire qu’on lui connait. Dès les premiers instants de jeu, la mise en scène et l’écriture propulsent le joueur dans un univers ou rien n’est épargné, pas même celui qui tient la manette. On tremble, on frissonne, on y voit de l’espoir, parfois on sourit, on s’y sent souvent seul mais dans un sens on ne l’est pas vraiment. C’est un véritable melting pot d’émotions dans un enrobage certes compliqué à assimiler, mais largement à la hauteur de l’effort qu’il demande, si ce n’est plus. Dans l’état actuel des choses, Death Stranding est le jeu de l’année et sans aucun doute l’un des jeux de cette génération.
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