Annoncé il y a trois ans lors du PC Gaming Show de 2019, le JRPG Cris Tales avait suscité dès ses premières images l’intérêt des joueurs. Il faut dire qu’il avait de quoi plaire : un jeu de rôle indépendant, en 3D isométrique, à la direction artistique soignée, permettant de contrôler passé, présent et futur. Avec cette mécanique, les studios SYCK et Dreams Uncorporated ont voulu innover le genre. Alors, est-ce sous les meilleurs auspices ?
Test réalisé sur Nintendo Switch grâce à un code envoyé par l’éditeur.
Vivez passé, présent et futur en même temps
Autant le dire d’emblée, Cris Tales est un jeu marquant à bien des égards. Vendu comme “une lettre d’amour” aux jeux de rôles japonais, le titre nous plonge dans l’histoire de Crisbell, une jeune orpheline de Narim – c’est le nom de la contrée où notre aventure commence – et magicienne temporelle. Après sa rencontre avec Matias, une grenouille parlante habillée d’un chapeau haut-de-forme, elle découvre qu’elle détient le pouvoir des cristaux du temps lui permettant de percevoir le passé et le futur afin d’agir sur les âges. Au fil de son aventure, elle sera aidée par une petite poignée de coéquipiers dans l’objectif de sauver Narim et les quatre autres royaumes de la région d’une maléfique Impératrice du temps. Si jusque-là, Cris Tales s’apparente à un JRPG plutôt basique, le studio colombien Dreams Uncorporated et SYCK misent bien sur un système de jeu inédit.
Des titres s’amusant avec les voyages temporels, il en existe une flopée. On peut par exemple penser à Chrono Trigger, qui a d’ailleurs inspiré les développeurs, ou Life is Strange sorti plus récemment. Seulement, Cris Tales se démarque de ces derniers par sa capacité à afficher passé, présent et futur sur un même écran de jeu. Si, si, c’est possible. Pour cela, les développeurs ont eu l’idée de séparer l’écran en trois triangles.
Cette séparation, présente lors de nos déplacements au sein des villes des différents royaumes, permet de constater l’apparence d’un même lieu et de mêmes personnages à travers différentes temporalités. Elle permet également de percevoir les répercussions de nos actions sur le futur. Parce que oui, l’une des caractéristiques principales de Cris Tales est d’être un jeu où nos choix définissent la suite de notre aventure. Ainsi, on se retrouve fréquemment face à des dilemmes plus ou moins importants, allant du choix de la couleur d’une maison à d’importantes décisions politiques. Les choix proposés dépendent alors des quêtes secondaires accomplies, ou non. En ce sens, les quêtes “secondaires” ne le sont pas tant que cela, puisqu’elles permettent de définir la suite de votre aventure.
Le concept, attrayant sur le papier, fonctionne plutôt bien dans la pratique. Si la séparation en trois écrans triangulaires peut perturber de prime abord – on a surtout envie d’explorer tous les lieux et de s’arrêter devant tous les PNJ pour voir le temps faire son effet – on finit tout de même par s’y habituer. En ce qui concerne les choix à prendre, on reconnaît qu’il est facile de deviner ceux qui mènent à la “meilleure” issue. Néanmoins, on ne peut qu’avouer qu’on est pris d’un sentiment de satisfaction quand on se rend compte que l’on vient de sauver la vie de quelqu’un. Cependant, ne vous attendez pas à un jeu narratif comprenant de nombreux embranchements. Si Cris Tales est vendu par ses créateurs comme un titre où vos choix influenceront “grandement” la suite de l’histoire, ce n’est peut-être pas tout à fait le cas puisqu’ils ne mèneront qu’à trois fins différentes.
Des combats au tour par tour plutôt innovants
À l’image des ancêtres du JRPG, comme de nombreux titres Final Fantasy, Cris Tales utilise un mode en combat au tour par tour et par rencontres aléatoires. Et tout ce que l’on peut dire, c’est qu’elles portent bien leur nom tant elles sont irrégulières. Il pourra parfois se passer plus d’une minute sans que vous ne tombiez sur des monstres et d’autres fois, il ne faudra attendre que quelques secondes avant d’en rencontrer d’autres. Un système qui peut rapidement devenir un chouïa agaçant, même en étant habitué aux rencontres aléatoires.
Une fois en combat, surprise : vous voilà littéralement encerclés par des ennemis. Ceux-ci sont positionnés à gauche et à droite de vos trois combattants. Vos actions se passent alors d’un côté ou de l’autre, il n’est par exemple pas possible d’attaquer tous les ennemis du terrain en même temps. Ce positionnement n’a rien d’hasardeux puisqu’il permet de faire appel, en combat, aux cristaux du temps. Parmi les compétences de Crisbell, notre héroïne a la possibilité d’envoyer les monstres dans le passé ou le futur, selon leur place à l’écran. Cette aptitude ouvre alors tout un champ des possibles en termes de techniques de combat puisque les compétences de nos alliés peuvent s’y associer. Vous devrez alors trouver les combinaisons qui feront plier vos ennemis. Si le concept est très intéressant, nous n’avons personnellement pas vraiment eu l’occasion de l’exploiter. En effet, les combats étant plutôt simples et vite expédiés, on trouve rarement le temps d’utiliser cette compétence.
Vous l’aurez compris, les combats sont généralement plutôt simples – à l’exception du premier donjon qui, pour une raison inconnue, vous posera sûrement quelques problèmes. Passé cette étape, les affrontements deviennent de plus en plus faciles à mesure que vous gagnez en niveau et en expérience. En effet, l’éventail de monstres rencontrés n’étant pas très vaste, on reconnaît aisément leurs points faibles et la manière la plus efficace d’en venir à bout. Pour cette raison, on pourrait rapidement avoir une sensation de redondance dans les combats, seulement les équipes de SYCK et Dreams Uncorporated ont fait le choix d’y incorporer une mécanique semblable au QTE, vous demandant de synchroniser l’attaque de votre personnage avec l’appui sur la touche action, de cette manière vos coups seront plus forts ou votre défense améliorée. Ce système utilisé dans des titres tels que Super Mario RPG, Paper Mario ou encore Legend of Dragoon est loin d’être nouveau mais on reconnaît qu’il a l’avantage de mieux impliquer le joueur dans l’action.
À la fin de votre combat, vous emporterez argent et points d’expérience. Si Cris Tales est vendu comme un JRPG, on regrette l’absence d’un arbre de compétences permettant de contrôler l’évolution de nos personnages. Ici, les nouvelles aptitudes sont obtenues automatiquement en gagnant en niveau, les statistiques de personnage sont augmentées de la même manière et quelques équipements achetés en boutique permettent de les améliorer. Aussi, les personnages n’ont qu’une seule arme, pouvant être améliorée un nombre limité de fois en échange de quelques pièces. Rien de bien technique, donc.
Sauver le monde, quelle aventure redondante
Si votre aventure est d’apparence simple, poursuivant l’objectif de sauver le monde des griffes d’une dangereuse Impératrice du temps, vous pourrez compter sur vos courageux alliés pour l’égayer. Le scénario, pas tant surprenant que ça, bénéficie en effet d’un très bon casting et de dialogues rendant les personnages attachants. On se prête souvent à un sourire, un soufflement de nez, voire à un rire. Les conversations sont plutôt courtes, amusantes, parfois simplettes mais jamais trop lourdingues. On a trouvé le doublage – en anglais – très satisfaisant, à tel point qu’on préfère parfois laisser nos personnages finir leurs phrases plutôt que de les couper après avoir lu la boîte de texte – en français.
Seulement, comme nous avons pu l’avancer, l’intrigue de Cris Tales n’est pas très surprenante et le jeu peut même paraître redondant dans la marche à suivre : se rendre dans un royaume, compléter les quêtes annexes et principales, battre un boss, donner le meilleur avenir possible à la contrée. Et même si le jeu possède quelques sous-intrigues, comme les origines de Crisbell, celles-ci sont plutôt mal exploitées car peu présentes tout au long de l’aventure. De plus, comme vous pouvez vous y attendre, le scénario de Cris Tales est basé sur la complexité du voyage temporel, tellement complexe qu’on en perd parfois le Nord. Si ce genre de scénario amène nécessairement à une phase explicative où les choses prennent sens, celle-ci est malheureusement mal gérée. En effet, ce moment est construit autour d’une mécanique de jeu très répétitive demandant des aller-retours contraignants dans les villes. Un final un peu frustrant.
En somme, il est fort probable que vous ressentiez un moment de creux au bout de la vingtaine d’heures de jeu que demande Cris Tales. Si on est subjugués par le lancement, plein de mécaniques intéressantes et surtout très curieux de pouvoir agir sur le futur en rendant meilleure la vie des personnes rencontrées, le jeu souffre finalement de son aspect répétitif et un peu cliché du JRPG. Cris Tales finit par tirer sur la longueur en semblant vouloir ajouter quelques heures de jeu dont on aurait pu se passer.
Une direction artistique gâchée par des défauts techniques
L’un des points les plus marquants de Cris Tales est sa beauté et ça, on ne va pas le nier. Chaque tableau dans lequel vous vous déplacez semble parfaitement travaillé, avec une harmonie des couleurs et des formes rendant votre aventure apaisante. On apprécie le design à la fois simpliste et complexe du jeu, l’atmosphère singulière de chaque royaume, la finition des détails. Le tout est sublimé par une bande originale très douce pour les oreilles, avec plusieurs morceaux marquants qui restent en tête. Cris Tales est définitivement une aventure visuelle et il faut noter le travail des développeurs, qui ont dû créer certains personnages, bâtiments et autres éléments de jeu au moins trois fois – selon leur place dans le temps. Il n’est donc pas étonnant, au moment des crédits du jeu, de voir la liste d’artistes s’allonger.
Celle des développeurs techniques, à côté, fait pâle figure, car l’un des gros points faibles du jeu sont les temps de chargement : qu’a-t-on fait pour mériter ça ? À chaque début et fin de combat, à chaque passage d’une zone à l’autre, à chaque entrée dans un bâtiment, une pièce, vous aurez droit au minimum à une dizaine de secondes de chargement. Chez nous, sur Nintendo Switch, cela a pu monter à une trentaine de secondes. Ce problème semble récurrent, peu importe la plateforme de jeu utilisée, seules la PS5 et la Xbox Series réduisent ce temps d’attente. Et il suffit que les combats soient fréquents et vite expédiés pour que le temps passé devant un écran blanc soit plus long que celui joué. Malheureusement, on se retrouve parfois à perdre patience et à vouloir faire autre chose à côté.
De la même manière, Cris Tales souffre de quelques pertes de FPS lors de ses combats et de l’exploration, et de certains bugs de son (qui baisse parfois en intensité sans raison). En couplant cela à une héroïne un peu molle du genou dans ses déplacements, on reconnaît s’être retrouvé lassé sur la fin de notre aventure.
Verdict : 7/10
Cris Tales est un jeu qui vaut le détour tant il est rempli de bonnes idées. Les premières heures de jeu sauront satisfaire les amateurs de RPG grâce à son concept novateur. L’idée de pouvoir être “maître” du temps, en explorant le passé et le futur, nous a en tout cas séduit. La direction artistique, colorée et harmonieuse, ainsi que l’OST font des moments passés sur Cris Tales des échappées sublimées. Malheureusement, les défauts techniques évoqués et la redondance du jeu peuvent perdre quelques joueurs et en lasser d’autres. Le titre, publié par Modus Games, reste malgré tout un jeu sur lequel on a envie de retourner, pour ses personnages attachants et son intrigue que l’on veut tout de même voir se délier. Le studio indépendant Dreams Uncorporated marque finalement une belle première grâce à Cris Tales.
Laisser un commentaire