Janvier 1999. Un film dénommé Le Projet Blair Witch est diffusé en avant-première au Sundance Film Festival, où il fait sensation. Distribué à travers le monde quelques mois plus tard, l’œuvre réalisée par Daniel Myrick et Eduardo Sánchez est acclamée par la critique tout en divisant le public. Aujourd’hui classé en sixième position des films d’horreur les plus rentables de l’histoire, il est devenu un véritable classique auquel on attribue la popularisation du genre found footage. Autant dire que s’attaquer à un tel phénomène est un pari osé, donc. Et pourtant, c’est un défi qu’a accepté de relever Bloober Team (Layers of Fear, Observer) avec Blair Witch, sorti le 30 août sur Xbox One et PC. Mais alors, cette nouvelle adaptation du mythe de la sorcière de Blair est-elle terrifiante pour les bonnes, ou les mauvaises raisons ? Direction la forêt de Black Hills pour le découvrir.
Test réalisé lors de sessions de jeu tardives, le soir et dans le noir avec des écouteurs, à partir d’une version PC fournie par l’éditeur
Le temps passe, les légendes perdurent
Blair Witch se déroule en 1996, soit deux ans après les événements du film dont il reprend l’univers. Cette fois-ci, ce n’est pas de la disparition de plusieurs étudiants dont il est question mais de celle d’un petit garçon, Peter Shannon. Dans la peau d’Ellis, un ex-flic, on se rend en compagnie de notre chien Bullet dans la forêt de Black Hills, près de Burkittsville dans le Maryland (États-Unis), afin de prendre part aux recherches bien que cela ne soit pas prévu. C’est pour cette raison que l’on se retrouve seul à s’enfoncer dans les bois pour faire lumière sur cette histoire, avec pour seul moyen de communication un talkie-walkie, qui nous permet de garder contact avec les autorités et les équipes de recherche, mais aussi un téléphone portable où sont enregistrés plusieurs numéros.
Évidemment, les choses ne se passent pas comme prévu et l’on se retrouve rapidement coincé au beau milieu d’une forêt s’étendant à perte de vue, confronté à de mystérieux phénomènes pour lesquels il est difficile de trouver une explication logique. C’est d’ailleurs là que le jeu puise toute sa force et montre un profond respect envers le film. Sans jamais tomber dans l’outrance paranormale, le titre de Bloober Team nous propose une aventure finalement teintée d’une forte dimension psychologique dans laquelle le protagoniste, visiblement torturé par des éléments de son passé, doit régulièrement faire face à ses propres démons. Des démons qui, pour l’occasion, finissent par devenir ceux du joueur puisque l’on se retrouve à subir toutes ces tortures psychologiques au même titre que notre alter ego virtuel.
En d’autres termes, Blair Witch se révèle être une bonne surprise dans le sens où il parvient à compenser le propos relativement classique de son scénario par une mise en scène et une direction artistique profondément réussies et accrocheuses, et ce d’un bout à l’autre de l’aventure. Immersif au possible, le jeu nous pousse à vouloir prolonger le cauchemar pour découvrir le fin mot de l’histoire, ce qui se fera à l’issue de cinq ou six heures de jeu tout au plus. Mais croyez-nous, c’est largement suffisant, et l’on regrettera même que le dernier tiers de l’aventure tende à tirer un peu trop sur la corde sans rien forcément apporter de bien nécessaire.
Point intéressant à noter au passage, pas moins de quatre fins différentes sont disponibles – même cinq si l’on en croit les développeurs, bien que cette dernière ne semble pas encore avoir été découverte. Ne vous attendez toutefois pas à quelque chose d’exceptionnel puisque toutes sont globalement similaires, à un ou deux détails près. Cependant, cela offre au titre un certain taux de rejouabilité appréciable pour les plus courageux, et on ne va pas s’en plaindre. Encore faut-il découvrir les quelques subtilités de gameplay nécessaires à l’obtention de chacune, et toutes ne sont pas évidentes à trouver…
Le meilleur ami de l’homme
Côté gameplay, Blair Witch se présente comme un jeu plutôt classique dans sa construction : on avance, on explore, on trouve des informations, on résout quelques petites énigmes et on progresse. Cependant, il ne se limite pas à cela et se dote en parallèle de quelques mécaniques de jeu plutôt originales qui lui permettent de se distinguer des expériences horrifiques habituelles. La première que l’on remarquera, c’est évidemment la présence de notre fidèle compagnon canin. Nous accompagnant tout au long de l’aventure, Bullet joue un véritable rôle en nous indiquant, au gré de nos découvertes, le chemin à suivre grâce à son flair mais aussi en nous ramenant parfois des objets et collectibles de son propre chef. De ce fait, il est possible de lui donner différents ordres, de le caresser ou encore de le gronder mais il faut garder en tête que cela pourra avoir un certain impact sur l’histoire. Au-delà de cela, il a aussi et surtout pour rôle de nous épauler durant les phases de combat.
En effet, à de nombreuses reprises au cours de l’aventure, des monstres pourront faire leur apparition. Étant extrêmement vifs dans leurs déplacements et souvent difficiles à repérer dans la pénombre de la forêt, il ne sera pas toujours évident de se défendre. C’est à ce moment-là que notre chien entre en jeu : en prêtant attention à ses différentes réactions, il est possible de comprendre qu’un danger est imminent et dans quelle direction se trouve notre ennemi. C’est donc un atout non-négligeable qui nous aide à lutter avec ce qui sera notre seule et unique arme : la lampe torche. Les monstres craignant la lumière, le seul moyen pour s’en débarrasser consistera à pointer le faisceau dans leur direction. C’est assez rare dans un jeu d’horreur mais pour une fois, la fuite est rarement une option envisageable. Cela n’empêche pourtant pas au titre de Bloober Team de nous faire ressentir un grand sentiment de vulnérabilité, ce qui est un de ses plus grands atouts.
Outlast à Black Hills ?
Étant inspiré d’un found footage, le jeu ne pouvait décemment pas se faire sans qu’une caméra y joue un rôle à un moment ou à un autre. Notre principale crainte était alors de se retrouver avec un Outlast-like, ce qui n’aurait pas été des plus intéressants. Heureusement, ce n’est absolument pas le cas et on se réjouira de voir que les développeurs ont su s’approprier cette mécanique de gameplay d’une belle manière. Pour cause, la caméra nous sert principalement à visionner des cassettes dont la plupart aideront à nous faire progresser dans l’aventure en influençant directement la réalité. Exemple concret : si un chemin est bloqué, cela veut probablement dire qu’une cassette se cache dans les environs. En la visionnant et en mettant pause à un moment où l’accès en question est débloqué, cela change le présent en ouvrant l’accès comme dans la vidéo.
Plutôt originale et ingénieuse, on aurait ainsi vraiment apprécié que cette idée soit davantage mise à contribution et qu’elle soit exploitée d’une manière un peu plus variée au cours de l’aventure. Cela vaut également pour ce qui sera la principale autre utilisation de la caméra au cours du jeu, à savoir notre seul moyen de nous diriger à un moment où la visibilité est réduite à son minimum et où les dangers sont omniprésents. Une séquence terriblement oppressante et anxiogène qui fait sans le moindre doute partie des moments forts de l’aventure et qui nous prouve d’ailleurs que l’obscurité n’est jamais réellement la seule source de la peur…
Enfin, et c’était l’un des points évoqués par les développeurs, la forêt de Black Hills se présente sous la forme d’environnements assez vastes – dans une certaine mesure évidemment – dans lesquels il est possible de se balader. Pour l’occasion, un certain nombre de collectibles ont alors été disséminés un peu partout, qu’il s’agisse de documents, de polaroïds et de poupées de bois à récupérer ou encore de totems et de cairns à détruire. S’ils n’apportent rien de concret à l’aventure, ils constituent néanmoins de véritables clins d’œil au film en plus de prolonger quelque peu le frisson en nous forçant à explorer. On soulignera également le fait que le téléphone peut faire l’objet de quelques subtilités à de nombreuses reprises mais on ne vous en dira pas plus à ce sujet pour vous laisser le plaisir de le découvrir par vous-mêmes.
Frissons garantis
Comme nous l’évoquions plus haut, Blair Witch bénéficie d’une mise en scène et d’une direction artistique réussies qui sont portées par un moteur graphique tenant étonnamment bien la route. Visuellement très joli pour un jeu de cette envergure, le titre parvient à nous proposer une certaine variété d’environnements et d’ambiances qui font en sorte que même si l’ensemble du jeu se déroule au même endroit, on a réellement cette sensation d’avancer et de progresser. Il y a un profond respect évident de la part des développeurs envers la patte visuelle proposée par les réalisateurs du film de 1999, qui s’en retrouve même propulsée à un niveau supérieur grâce à une parfaite maîtrise des jeux de lumière et du côté parfois psychédélique de certaines séquences, un aspect cette fois-ci propre à cette version vidéoludique. On notera toutefois de légères saccades à quelques occasions ou encore des animations parfois relativement bizarres pour Bullet, à qui il arrive par ailleurs de se bloquer dans le décor.
Cela va sans dire, tous ces éléments permettent au jeu de s’en sortir admirablement bien sur ce qu’on attend le plus en se lançant dans ce genre d’expérience : la peur. Qu’elles se déroulent de jour comme de nuit, Blair Witch parvient constamment à instaurer un climat de stress et à proposer des séquences aussi terrifiantes qu’oppressantes, dans lesquelles pléthore de screameurs habilement placés ne manqueront pas de vous faire bondir de votre siège. Avec son système audio binaural – jouer au casque étant alors fortement recommandé – jonglant entre thèmes inquiétants, silence complet et bruits étranges, le jeu ne nous laisse aucun répit. Il réussit même le tour de force de proposer une ambiance progressive, qui gagne en intensité tout au long de l’aventure, jusqu’à atteindre son climax dans la dernière partie du jeu qui est un hommage évident au film… en beaucoup plus terrifiant ! Enfin, précisons que l’intégralité du jeu se fait en VOST, ce qui n’est vraiment pas dérangeant, d’autant que le doublage est de qualité.
Verdict : 8/10
Réaliser l’adaptation vidéoludique d’un film (et inversement) est souvent très risqué. S’attaquer à des œuvres considérées comme des classiques dans un domaine comme dans l’autre peut ainsi s’apparenter à de la pure folie. Mais parfois, la folie paye. Bloober Team peut se targuer d’avoir réussi l’impossible en nous livrant non seulement une adaptation réellement exceptionnelle, mais en plus, osons le dire, qui s’en sort largement mieux que le film dont elle est inspirée. Très efficace sur le plan technique, Blair Witch nous plonge au cœur d’une aventure rythmée et oppressante qui compense l’aspect conventionnel de son scénario par une ambiance terriblement bien maîtrisée et sans répit. Si on pourra reprocher au jeu une fin qui traîne un peu trop en longueur ou encore des mécaniques de gameplay originales mais insuffisamment exploitées, on en retiendra surtout qu’il s’agit d’une expérience horrifique aussi immersive que de grande qualité, et ce de bout en bout.
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