L’interaction dans le jeu vidéo est la clef de son médium, ce qui permet entre autres de le distinguer du cinéma ou des différents arts picturaux. Cependant peu de jeux se sont interrogés sur la manière dont cette interaction peut s’effectuer. Quand je fais une action, j’attends une réponse du soft, et a contrario j’attends que le soft me fasse comprendre comment réaliser des actions, et qu’au terme de cet échange je comprenne quelles sont mes possibilités et jusqu’où je peux aller. Que se passe-t-il si cet échange ne se fait pas ? Pire, comment comprendre et questionner un règlement sans même avoir connaissance de son spectre de possibilités ? À ces deux questions, nous n’y répondrons pas. Néanmoins, Ancestors : The Humankind Odyssey nous a forcé à nous essayer à ça. Produit par Panache Digital Games, avec à sa tête un certain Patrice Désilets, producteur des trois premiers Assassin’s Creed, le soft propose de remonter le temps pour non pas retrouver des artefacts du passé afin d’y imbiber de sang une pauvre plume, mais de nous placer dans la peau de nos ancêtres, pour y voir l’évolution de l’Humanité à sa base la plus lointaine connue.
Test réalisé sur PC grâce à une copie numérique envoyée par l’éditeur
David Hume
Mais alors qu’y avait-il à l’origine ? Quatre primates et un petit, installés de façon recluse dans un simili havre de paix. Composé d’un cours d’eau permettant de s’abreuver et de quelques fruits pour se nourrir, rien de bien excitant nous l’accordons. En plus de ça, Ancestors: The Humankind Odyssey se déroule 10 millions d’années avant l’invention de l’écriture, donc autant se préparer à ne pas voir une once d’intrigue pointer le bout de son nez. Non, le soft ne cherche pas à vous raconter une histoire, et il n’est pas là non plus pour éduquer. La terrible vérité est que vous êtes un singe, dans sa plénitude, qui fait partie d’une tribu quelque part sur le continent africain, et qui se tourne les pouces. « Créez votre lignée », « évoluez » insistera le soft dans son introduction, avant de vous souhaiter « bonne chance » en vous abandonnant à vous–même dans la nature.
Vous l’aurez compris, personne n’est là pour vous tenir la main. Ancestors défend plus une expérience vidéoludique, que d’un jeu à proprement parler tellement il vient sortir le joueur de sa zone de confort. Vos premières heures vous feront passer de l’émerveillement à l’énervement, de la joie à la tristesse en un claquement de doigts. L’essence même de cette expérience se trouve sur votre compréhension et interprétation de l’environnement. Le spectre des possibilités est très large, mais encore faut-il les appréhender. Panache Digital Games vous indiquera uniquement les bases, à savoir comment évoluer, vous déplacer et exploiter vos sens. Hors cela, rien n’est suggéré, forçant dans une certaine mesure l’utilisation de la logique du joueur. L’évolution se fait donc par l’expérience, puis par l’apprentissage. Pour autant le soft n’oublie pas qu’il est un jeu vidéo, et pose des limites.
Effectivement l’idée autour de laquelle tourne le thème est l’évolution. Le joueur doit faire évoluer sa lignée pour atteindre les « prémices » du premier australopithèque. Pour se faire, il faut réaliser des actions afin de développer le réseau neuronal de la tribu. Divisé en quatre branches distinctes (communication, dextérité, perception et métabolisme), le joueur doit effectuer des actions pour perfectionner ses neurones. De fait, si par exemple nous décidons de partir explorer sans insister sur la chasse ou la cueillette, en mangeant donc uniquement des fruits et en cherchant dans notre environnement diverses choses, nous pourrons à notre retour au camp améliorer spécifiquement les neurones liés à la perception. À l’inverse, si nous jugeons qu’il est indispensable de chasser, nous déploierons plus d’efforts neuronaux sur la dextérité, et en s’exposant à plus de risques de blessures, à travailler sur notre métabolisme. C’est de façon graduelle que les neurones se développent, ainsi avant de devenir un bipède il faudra essayer de se lever pour faire un outil, débloquer le neurone des deux mains, etc. Dès que le joueur le souhaite, il peut franchir une « génération », c’est-à-dire que les jeunes prennent la place des adultes et les adultes de la génération précédente deviennent des anciens, par un saut temporel de 15 années. Mais attention, avant chaque saut de génération, le joueur doit sélectionner un nombre variable de neurones à garder. Une fois le temps passé, les neurones non sélectionnés sont perdus et il faudra donc les débloquer de nouveau. Enfin, toujours quand il le désire, le joueur peut lancer une « évolution ». À ce moment, le soft voit dans le détail les « prouesses » que votre/vos génération(s) ont réalisé, comme par exemple explorer des lieux nommés ou encore fabriquer X composants en Y quantité. En fonction de cela et en s’appuyant sur un barème, Ancestors vous dit à quelle époque vous vous situez et combien d’années d’avance vous avez sur la science.
L’évolution sous-entend une question de progression, et Ancestors: The Humankind Odyssey répond à cette progression par l’essai et la répétition. Cela peut sembler idiot, mais le fait que nous utilisions nos deux mains est une habitude, et dans la vie de tous les jours nous ne nous en rendons pas compte. Alors quand un jeu vidéo arrive et casse cette habitude, sans prévenir au préalable l’utilisateur, vous encrez une expérience d’emblée en brisant les codes du « gameplay classique ». C’est de ça que Ancestors tire un certain génie, tout le sel est de chercher qu’est-ce qui va fonctionner avec quoi, dans laquelle des mains cela doit aller et si vous êtes capable de le faire. Ainsi, vous pouvez pêcher, récolter ou encore découper de la viande, mais il faut savoir le faire et vous devrez tester de nombreuses choses avant de trouver l’effet désiré. Il existe énormément de recettes et de possibilités à explorer, que ces dernières soient bénéfiques ou néfastes. Il faut opérer de façon empirique pour comprendre. De ce fait, tous les objets répondent de la même manière : une phase de découverte qui indique la nature de l’objet, par exemple une branche. Ensuite il faudra dénicher comment la travailler. Avec vos mains ? Si oui, quelle main ? Les deux ? Ai-je besoin d’un autre objet ? Lequel ? Un enchaînement de questions salvatrices qui font porter en Ancestors: The Humankind Odyssey une humilité rarement observée dans un jeu vidéo, qui par le biais du son gameplay montre un état de conscience différent du notre. Vous n’êtes pas idiot car vous ne savez pas quoi faire de cette pierre, vous n’avez pas conscience de ce que vous pouvez faire avec cette dernière.
C’est donc petit à petit que le jeu achemine votre savoir : plus vous allez progresser, plus vous pourrez effectuer des actions complexes. Car le soft se fait malgré tout dans la douleur : vos hominidés sont fragiles, particulièrement les plus petits. Et oui, le monde sauvage ne vous épargnera rien, les prédateurs sont nombreux et dangereux. Baissez la garde et un tigre à dents de sabre n’hésitera pas à vous chiper. Hyènes et autres équivalents phacochères sont de la partie pour vous menez la vie dure, mais il faudra malgré tout partir explorer. Pour vous aider à la survie, vous pourrez utiliser plusieurs sens (l’ouïe, l’odorat et la vue) afin d’aller vers ce qui vous sera utile et d’éviter les pièges des divers animaux. Car si comme nous l’avons découvert, votre premier camp est un petit paradis pour vous et vos congénères, vous devrez migrer une fois que vos ressources seront épuisées. Et il vaut mieux savoir où aller car faire suivre une dizaine d’hominidés réclame un minimum de patience et d’attention. Faire des haltes, faire à manger et boire ou simplement même avancer, tout requiert une vigilance particulière, parce que si vous perdez tous les membres de votre clan, c’est le Game Over.
Nerja
D’un point de vue technique, Ancestors: The Humankind Odyssey éprouve quelques retards, principalement sur les textures. Bien que nettes, elles restent basiques et manquent de matière, le bois et la pierre semblent être du même moule et d’une même matière, lisse. Cependant le soft se rattrape avec des effets lumineux, des réverbérations sur l’eau ou encore du passage de la lumière au travers des feuilles, permettant un peu de cacher les textures. Les différents moments de la journée sont bien représentés, avec des couleurs chaudes pour accompagner le midi, plus sombres et douces la nuit, alors que la pluie va apporter un effet de brume, un peu lourd oui, mais pas dénué de charme. Ce tout faisant souvent surgir des panoramas grandioses, peu importe les clémences météorologiques. Petit bémol sur les animations, peu nombreuses qui font qu’un fruit entrain d’être mangé disparaît morceau par morceau, ou encore les animaux qui semblent être démunis de mouvements en diagonale, ce qui donne des scènes assez surréalistes ou vos prédateurs tourneront, sans animation parfois. Ou en outre ils effectueront des arcs de cercle, infini si vous êtes au centre de ce dernier.
Toujours aussi peu évidente à estimer, la durée de vie peut varier d’une expérience de joueur à une autre. De notre côté, nous avons effectué plus d’une trentaine d’heures de jeu pour voir le bout de l’aventure. Cependant, nous avons pris notre temps, ce qui sous–entend d’éviter les échanges de recettes via les forums ou autre lieu de parole. Le jeu étant uniquement jouable en solo, rien n’est à prévoir du côté du multijoueur, de même pour les modes de jeu. Seule l’expérience que nous vous avons décrite est disponible.
Chaque action vaut un nombre d’années, à vous de trouver ce qu’il faut faire !
Verdict : 8/10
Finalement, que penser de ce Ancestors: The Humankind Odyssey ? Il ne plaira pas à n’importe qui, c’est un jeu qui comme nous l’avons vu, prend son temps et n’hésite pas à laisser le joueur sans aide. La survie se fait au prix d’une certaine souffrance et vous n’êtes jamais à l’abri de recommencer une lignée pour une erreur « bête ». Ces trois points bloqueront certains joueurs, alors que d’autres y trouveront une échappatoire à notre époque. Loin des jeux pré-mâchés pour les joueurs, Ancestors pousse le joueur à découvrir par lui-même, de par ce qu’il connaît sur le moment et sa compréhension de l’univers dans lequel il est, et sait le féliciter ce dernier sans jamais lui octroyer de bonus ou messages. En ça, l’équipe de Panache Digital Games réussit un tour de force. Après, oui Ancestors reste discutable sur quelques points techniques, sur sa difficulté, ou encore quelques petits abus de l’IA. Mais en somme, rien d’assez grave pour entacher l’aventure. Surtout que deux suites sont prévues, afin de prolonger l’épopée de l’Humanité et vous vous en doutez, nous avons hâte. En l’état, nous ne pouvons que vous conseiller Ancestors: The Humankind Odyssey.
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