Alone in the Dark. Quatre mots que tout joueur, trentenaire ou non, doit connaître. Et pour cause, car si aujourd’hui la licence n’est plus d’actualité, force est de constater que cette saga de jeux axée survival-horror a marqué les esprits. Son créateur ? Frédérick Raynal. L’homme passionné jusqu’au bout des cheveux, que l’on aime entendre parler pendant des heures tant il a le don de transmettre sa sympathie et son expérience. Après le mondialement connu Alone in the Dark donc (sorti en 1992, avant que Shinji Mikami ne reprenne l’idée pour en faire ce qui deviendra Resident Evil), nous avions eu droit aux fameux titres Little Big Adventure et Little Big Adventure 2, sortis respectivement en 1994 et en 1997. 20 ans plus tard, monsieur Raynal refait parler de lui, avec un retour à ses premières amours dénommé 2Dark, et dont voici notre test.
Test réalisé sur PS4 Pro à partir d’une version fournie par l’éditeur
Le postulat de départ de 2Dark est simple : faire vivre aux joueurs une expérience teintée au maximum d’aspects survival-horror, sans pour autant proposer nécessairement les codes habituels. Ainsi, si le très bon Resident Evil VII a su tirer partie du buzz créé par P.T ou encore Outlast pour renouveler sa formule, 2Dark cherche davantage à se démarquer de la masse. Et à ce compte-là, autant être clair, le pari est amplement réussi. Issu d’une campagne de financement participatif Ulule, le nouveau bébé de Frédérick Raynal devait atteindre la somme fatidique de 30 000€, sous peine d’être purement et simplement annulé. Fort heureusement, les contributeurs ayant volontiers répondu aux sirènes du jeu à l’ancienne, et c’est avec 33 000€ que la team Gloomywood, créée en 2014, a pu travailler sereinement. Le résultat est, selon nous, à la hauteur des espérances, et remplit à merveille son rôle d’outsider dans le monde si prisé (et si chaotique) du jeu d’horreur.
Un seul être vous manque et…
L’intrigue, digne d’un polar noir comme on les aime, nous fait incarner Mr Smith (non, rien à voir avec Brad Pitt !), un ancien flic des 60’s ayant perdu femme et enfants dans un tragique événement. Son épouse ne s’en est pas tirée, mais ses enfants, eux, ont « juste » été kidnappés. 7 ans après le drame, Smith ne s’en est jamais remis, et bien que ne portant plus d’insigne officiel des forces de l’ordre il tentera le tout pour le tout afin de retrouver ses gamins. Certes, de l’eau a coulé sous les ponts, mais il y croit dur comme fer : they are alive ! Vivant dans une maison un brin miteuse en plein Gloomywood (la ville du jeu porte le même blase que le studio de développement), le veuf ressasse le passé à longueur de journées… Mais, ces derniers jours, de nombreux enfants de la région ont disparu subitement, et ce, dans des circonstances troublantes. N’écoutant que son courage (ou sa crédulité, c’est selon), Smith s’en ira faire la lumière sur cette sombre affaire, et comptera bien récupérer au passage deux ou trois indices à propos de ses propres gosses. Ça ne lui rendra pas sa femme, c’est certain, mais nous sommes ici dans les 70’s, il aura donc tout le temps d’aller draguer des hippies une fois cette dernière enquête non-officielle résolue.
Concrètement, 2Dark est divisé en niveaux. Comptez une petite dizaine de levels en tout et pour tout, mais demandant chacun un sacré paquet d’heures pour en faire le tour. Oui car, voyez-vous, le bougre n’est pas aussi accessible que ce que pourrait laisser penser son aspect visuel (on y reviendra…). En effet, 2Dark fait le pari de l’ambiance minimaliste, loin des AAA récents ou même des ténors du genre. Pour autant, sa direction artistique émerveille (autant qu’elle écoeure, selon la situation), et on aura tôt fait de s’attacher à Smith et à ses assaillants. La raison à cela ? Le design, mes amis, tout simplement ! Exit la 2D dessinée à la paluche, exit la vue FPS, ou bien même les plans de caméra utilisés dans Alone in the Dark. Non madame, 2Dark prône le voxel pour tous, car le voxel c’est exceptionnel, et que le voxel ça se mange sans sel. Mais trêve de babillages, le profane aimera sans doute savoir qu’un voxel est un pixel volumétrique, autrement dit : un pixel en 3D. Le tout rend vraiment très bien et, pour peu que vous ne soyez pas allergique au style, vous plongerez probablement aussi vite que nous dans cette ambiance malsaine à souhait.
Jeanne 2Dark
On dirige donc Smith très facilement avec les sticks gauche et droit, et l’on est surpris de la souplesse à laquelle nous avons à faire face. En effet, bon nombre de jeux au level design semblable sont connus pour leurs soucis de collision notamment. Hotline Miami, par exemple. Aussi excellente soit cette licence, force est de constater que c’est arrivé à tout le monde de se bloquer dans l’entrebâillement d’une porte au moment de frapper un ennemi. Tristes souvenirs, n’est-ce pas ? Nous songeons d’ailleurs actuellement à monter une amicale des joueurs victimes de bugs.
Mais revenons-en à nos moutons ! Smith est donc très plaisant à manier, et il en va de même pour l’inventaire qui pourra prendre parfois, il faut bien le dire, quasiment un tiers de votre écran de jeu. Pas de panique néanmoins, le tout est très bien pensé, et vous pouvez même « réduire » la fenêtre dédiée à vos items. On navigue donc avec plaisir dans ce fourre-tout, et ce, à l’aide des flèches directionnelles. Pour l’anecdote, quand la barre d’inventaire est bleue, c’est que Smith est correctement tapi dans l’ombre, alors que si le tout devient rouge, il ne fait nulle doute que vous êtes en pleine lumière. Dans cette optique, il vous incombera de ne pas vous servir de votre lampe-torche, de lanternes, ou encore même de votre briquet trop près d’un PNJ. Ce dernier vous remarquerait effectivement instantanément. En parlant du briquet, vous le saviez peut-être déjà si vous suivez assidûment l’actualité de ce 2Dark depuis un moment, l’objet en question vous sera primordial dans chacun des niveaux du jeu. En effet, couplé à une cigarette, il est votre seul moyen de sauvegarder votre partie. Vous voilà prévenus ! Oh et… Doit-on vous préciser que si vous sauvegardez trop souvent en un laps de temps restreint vous vous mettrez à tousser ? En voilà un moyen rapide de se faire repérer bêtement ! On sent que les mauvaises habitudes de Solid Snake ont fait des émules, et c’est tant mieux.
Dans le même ordre d’idée, sachez que les sauvegardes utilisent un seul et même slot. Autrement dit, chaque fois que vous fumerez une clope, vous écraserez en même temps la précédente save. Ainsi, nous ne saurions que trop vous conseiller d’utiliser cette fonction avec parcimonie. Il serait en effet dommage de devoir recommencer tout un level après avoir sauvé « malencontreusement » votre partie durant un passage inadéquat. Soyons clair à ce sujet, 2Dark a parfois tout du jeu typé die and retry ! Certains moments épiques, notamment des « combats » de boss, vous demanderont aisément une dizaine, voire une vingtaine d’essais avant de se montrer concluants.
Mireille 2Dark
Dès le premier gros affrontement, d’ailleurs, le joueur sera mis face à la plus importante feature du jeu, à savoir son gameplay émergeant. Derrière ce terme un brin archaïque se cache un aspect bien trop souvent délaissé dans les jeux vidéo actuels. Le gameplay émergeant est en vérité un concept proposant au joueur de vivre sa propre aventure. Tout du moins, de la jouer à sa manière. Cette fonctionnalité a par exemple fait la renommée des jeux estampillés Deus Ex. Si le but premier dans chaque level de 2Dark sera en effet de trouver et sauver les enfants, il faut bien noter qu’à aucun moment le jeu ne vous indiquera quoi que ce soit. Ce sera donc à vous, et seulement à vous, de définir la marche que vous souhaitez suivre. Pour en revenir au cas du premier boss du jeu, puisque l’exemple est sans doute l’un des plus frappants, 2Dark vous place au coeur d’un cirque, dans un sas fermé par quatre segments. Derrière vous, le portail par lequel vous êtes entrés dans ce piège bien malgré vous. À gauche et à droite, deux grilles s’ouvrant par un mécanisme. Et enfin, face à vous, la porte de sortie, fermée à clé. Dès lors, et sans que l’on s’y attende, plusieurs manières d’opérer sont mises à disposition du joueur. Effectivement, pour venir à bout du boss qui se trouve être de l’autre côté du sas, vous aurez le choix entre ouvrir la porte (grâce à un levier), puis lui courir après en évitant ses coups (un seul et vous êtes mort !), ouvrir la porte puis lui tirer dessus avec votre arme à feu, ou encore tenter le deuxième levier, ouvrant la cage aux lions cette fois. En sachant que les fauves n’en feraient qu’une bouchée, mais qu’ils auraient suffisamment de place pour vous digérer également, sans compter les enfants qui traînent par là.
Vous l’aurez compris, 2Dark regorge de possibilités, et c’est sans nul doute sa force principale. On prend donc énormément de plaisir à parcourir les niveaux du jeu, en tentant divers modes opératoires. D’ailleurs, aucun choix de difficulté n’est à prévoir, ne comptez donc pas sur un éventuel mode Facile pour vous sauver la mise en cas de coup dur. C’est même tout l’inverse, puisqu’une fois terminés, vous pourrez refaire à volonté les levels déjà parcourus, histoire d’améliorer votre score. Ce dernier, allant de une à cinq étoiles, est là pour vous rappeler à l’issue de chaque niveau à quel point vous avez été mauvais (non, ne niez pas !).
Prendre un enfant par la main…
La première étoile est octroyée automatiquement pour avoir fini le level en question, la deuxième pour avoir sauvé tous les enfants, la troisième pour avoir trouvé tous les bonbons roses, la quatrième pour avoir terminé le niveau sans mourir, et enfin la cinquième vous sera décernée pour avoir obtenu les quatre premières. Au-delà du challenge en lui-même que représente chaque « chapitre » du titre, il faut bien avouer que ce sont surtout les enfants qui vous causeront des problèmes. Oui, vous êtes là pour les sauver, et plutôt deux fois qu’une. Pour autant, vous vous en doutez, cela reste des enfants ! Ainsi, et parce que Frédérick Raynal et son équipe aiment vous voir souffrir manette en mains, il ne s’agira pas « simplement » de trouver les bambins disséminés ça et là au sein des infrastructures parcourues, non. Une fois en contact visuel avec eux, il va falloir les sortir de là, et surtout… surtout… les faire rentrer chez eux. Oui parce que, contrairement à beaucoup d’autres jeux, ici rien n’est automatique (pas même les antibiotiques). Autrement dit, il va falloir veiller sur eux et les faire cavaler jusqu’à la sortie du level (l’endroit par lequel vous êtes entrés, en gros). Pour ce faire, vous pouvez leur donner des bonbons afin qu’ils vous suivent plus facilement (!), leur crier « Suivez-moi ! » via la touche Carré, les porter sous le bras via la touche Croix, ou encore leur dire « Chut ! » via la touche Cercle. Une action bien pratique, puisqu’elle vous permettra surtout de les faire attendre sur place. Utile, surtout si des ennemis vous barrent la route. Bien évidemment, il ne sera pas rare que les mioches n’en fassent qu’à leur tête, et se mettent à pleurer, voire même… à hurler de toutes leurs forces ! On vous laisse deviner à quel point ce genre de désagrément peut foutre en l’air votre discrétion.
Côté bande-son enfin, c’est Samuel Safa qui nous gratifie de ses superbes compositions, aussi intrigantes que dérangeantes. L’ambiance sonore se marie donc à merveille avec l’ambiance visuelle si particulière de ce 2Dark. Mention spéciale pour les thèmes « Counting » et « Ghost », que nous avons en tête depuis plusieurs jours ici à la Rédaction, et qui nous font voir des morts partout. Espérons que ça ne dure pas. Les bruitages, eux, tiennent parfaitement leur rôle, et ce sont évidemment les cris des enfants qui nous ont le plus bluffé. Ces derniers sont parfois énervants, mais en même temps tellement réalistes qu’on jurerait presque être suivi par des bambins complètement choqués et déçus perdus. On notera en revanche un mixage sonore déroutant, passant de sons ambiants somme toute « légers » à des musiques au volume bien trop fort, cassant l’immersion à plusieurs reprises, en plus de nos oreilles. Enfin, seuls quelques bugs, notamment de pathfinding, viendront de-ci de-là gâcher votre expérience de jeu. Gageons que de futurs patchs corrigeront ces quelques écueils.
Verdict
25 ans après Alone in the Dark, Frédérick Raynal cherchait à proposer un jeu axé survival-horror cassant les codes des titres actuels. Non seulement le pari est réussi pour la team Gloomywood, mais surtout 2Dark va bien au-delà de nos espérances. Outre son aspect voxel soigné et de sa direction artistique des plus glauques, l’aventure de Smith se montre grisante, et ce, malgré son univers dérangeant. Impossible de lâcher la manette, on cherche par tous les moyens (oui, tous !) à sauver ces malheureux gamins qui n’avaient rien demandé. Car 2Dark c’est aussi et surtout un gameplay ingénieux, où quand l’agent 47 baigne dans la sauce tomate et la barbarie. Ne vous y trompez pas, nous tenons là une pépite du jeu indépendant, un vent de fraîcheur morbide sur les restes d’un genre devenu redondant. En somme, la vision d’un homme chevelu, et déterminé. Chapeau l’artiste !
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