C’est le choc des titans. Sur les versions mobiles de Fortnite, Epic Games a délibérément ajouté un nouveau mode de paiement qui permet d’éviter de payer les 30% de commissions prélevés par les Store de Google et Apple. Les firmes ont réagi quelques heures plus tard en supprimant le jeu de leur boutiques ! Coup qu’avait préparé Epic Games qui a ensuite répliqué avec une vidéo parodiant l’une des pubs les plus emblématiques d’Apple : 1984. La guerre est déclarée : revenons sur les enjeux de cet affrontement.
Il y a quelques années, Epic Games n’était qu’un développeur de jeux tout ce qu’il y a de plus classique. Fort du succès en 1999 de son FPS compétitif Unreal Tournament, la société américaine a pu amasser suffisamment de fonds pour s’affranchir d’éditeurs. Désireuse de conquérir le marché croissant du dématérialisé, la société a été l’une des premières à proposer ses jeux sur Steam en 2008. En 2012, la firme originaire de Cary passe à l’étape supérieure en vendant 40% de ses parts pour un total de 330 millions d’euros au géant chinois de Tencent qui a de grandes ambitions pour le créateur de la série des Gears of War.
Cette envie de devenir un des leaders du marché vidéoludique aboutit en 2017 sur la sortie de Fortnite, qui embrassa avec une efficacité redoutable la mode des Battle Royale. Le titre a explosé tous les records de fréquentation des jeux en ligne et pour Epic Games, les records de revenus. La société créée en 1992 par Tim Sweeney est donc devenue cette année-là l’un des acteurs du marché avec le plus de capitaux frais à investir. Cette manne financière n’a pas été jetée par les fenêtres puisqu’en 2018 sortait la première version de l’Epic Games Store : la seule plateforme dématérialisée où il est possible de se procurer Fortnite.
Le succès est vite au rendez-vous malgré le manque de fonctionnalité et l’EGS commence doucement à attirer les éditeurs tiers avec un argument de taille : contrairement à Steam qui a une commission de 30%, l’Epic Games Store ne ponctionne que 12% sur le prix d’un jeu. La nouvelle plateforme séduit donc beaucoup d’indépendants et commence à réaliser de gros coups avec des exclusivités temporaires comme Borderlands 3 ou Metro: Exodus qui n’ont été commercialisés sur Steam qu’un an plus tard. Il faut dire que 30% peut vite représenter beaucoup pour un jeu qui réalise un gros chiffre d’affaire. Garry Newman, le développeur derrière Garry’s Mod, estime que sa société aurait pu gagner 50 millions de dollars de plus si la commission de Steam n’était que de 10% mais il rappelle également que Steam a littéralement sauvé le gaming sur PC.
Il s’agissait-là pour Epic du premier coup porté contre une plateforme monopolistique. Le débat sur le montant des commissions a eu beaucoup d’écho et a donné à Epic une image forte d’une société sans tabous voulant mettre fins aux monopoles. Image que la société a donc renforcé cette semaine en se frottant cette fois-ci à Apple et Google.
Hier, ils annonçait avec fierté dans un communiqué une baisse permanente des prix des V-bucks, la monnaie virtuelle de son jeu phare Fortnite, sur toutes les plateformes. Sur mobile, cela signifie qu’il n’était plus obligatoire de payer ses V-bucks en passant par l’Apple Store ou le Play Store : les joueurs peuvent directement envoyer leurs deniers à la filiale de Tencent, en passant outre les 30% de commissions imposés par les deux magasins. Forcément, les deux leaders de la téléphonie n’ont pas apprécié la manœuvre et ont donc tout simplement retiré Fortnite de leurs boutiques.
Dommage pour Epic nous direz-vous, sauf que la société habilement prévu le coup en répliquant avec une vidéo parodiant allègrement la pub mythique d’Apple « 1984« , qui faisait déjà à l’époque référence au roman éponyme rédigé par George Orwell. La vidéo se termine avec un message dans lequel Epic annonce défier le monopole d’Apple et incite les joueurs à se rallier à la cause via le hashtag #FreeFortnite.
Ne se limitant pas à une simple vidéo, Epic a également porté plainte contre les deux titans derrière iOS et Android pour pratiques anticoncurrentielles, lesquels ont répondu qu’Epic avait sciemment enfreint les règles de leurs Stores. La décision de la justice américaine pourra potentiellement chambouler les règles qui régissent le marché des plateformes dématérialisées aussi bien sur mobile que sur PC.
Si on peut instinctivement avoir envie de suivre Epic dans sa croisade, il convient tout de même de nuancer ses opinions. On peut d’abord trouver discutable pour une société qui pesait 17 milliards d’euro en 2019 d’utiliser le symbole qu’est 1984 pour adresser un tel message, qui est d’ailleurs clairement en décalage avec le propos du roman. Enfin, s’il est clair que les 30% de commission peuvent paraître importantes et peuvent étouffer financièrement les petits éditeurs et développeurs indépendant, il faut se rappeler que les plateformes dématérialisées proposent de nombreux services qui viennent grandement faciliter la vie des développeurs.
Système de mise à jour et de versionnage, système permettant de réaliser des tests et de proposer des versions bêta, outils de statistiques très développés d’un point de vue technique ou même marketing, gestion automatique des devises internationales, services anti-triche, fonctionnalités inhérentes à la plateforme (liste d’ami, forum de jeux…), prise en charge des frais d’hébergement serveur : les atouts de ces plateformes sont nombreux et permettent donc aux développeurs d’éviter des coûts qui peuvent se révéler être importants.
Proposer autant de services a donc un coût, et ces plateformes le finance via ces 30%. Chacun se fera une opinion sur le juste pourcentage que devraient appliquer ces plateformes, mais il n’est pas impossible que si ce montant venait à baisser, les Steam et consorts chercheront probablement à réduire leurs coûts et que cela passera, peut-être, par une limitation des performances des serveurs et donc de la vitesse de téléchargement de nos jeux ou applications. Affaire à suivre, en espérant que ce choc des titans ne retombe pas, comme c’est trop souvent le cas, sur les joueurs ou utilisateurs.
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